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18 août 2013 -- 20ème dimanche "C"
Jer 38,
4...10; Heb 12, 1-4; Luc 12,
49-57
H O M É L I E
« Je suis venu apporter un feu sur la terre... ».
Certains penseront peut-être que ce sont mes confrères qui ont choisi cet
évangile à l’occasion de mon jubilé d’ordination... Eh bien, non! C’est bien le
texte évangélique prévu pour ce vingtième dimanche de l’année. Vous conviendrez
avec moi que ce n’est pas un texte facile. C’est une noix plutôt dure; mais une
fois qu’on en a cassé l’enveloppe on y trouve une amande fort savoureuse.
Dans l’antiquité, dans toutes les religions primitives, le
feu était considéré comme quelque chose de sacré. Pour les peuples primitifs,
il y avait un fossé, une séparation radicale, entre ce qui est était considéré comme
le domaine des dieux, et l’espace habité par les humains; entre le sacré et le
profane. Le feu, qui est une chose si
mystérieuse, qui réchauffe et nourrit la vie, mais qui peut aussi détruire,
était considéré comme divin. C’est pourquoi dans les mythologies anciennes, par
exemple dans le mythe grec de Prométhée, un point tournant de l’histoire
humaine fut franchi lorsque Prométhée, l’un des titans, arracha aux dieux le
secret du feu et le donna aux humains.
Nous pouvons garder cela présent à l’esprit lorsque nous
lisons les paroles de Jésus : « Je
suis venu apporter le feu sur la terre... » Il est venu en effet pour
supprimer le fossé entre Dieu et les hommes. C’était déjà l’enseignement du premier livre de la Bible, le Livre de la
Genèse, et du récit de la création qu’on y trouve. Dans la tradition juive et la tradition
chrétienne, contrairement à ce qu’on trouvait dans les religions païennes, Dieu
a confié aux humains l’ensemble de la création et a fait d’eux les gardiens de celle-ci.
Il n’y a donc plus rien qui soit sacré par nature. Tout est profane. Toute la création est à la
disposition de l’homme. Mais tout peut devenir sacré s’il est utilisé pour
rendre gloire à Dieu.
Jésus est venu précisément pour combler le fossé entre Dieu
et les humains; il est venu combler aussi le fossé entre les humains. Dans l’ancienne tradition d’Israël, telle
qu’on la trouve dans l’Ancien Testament – tout comme, d’ailleurs, dans les
traditions des autres peuples de l’antiquité -- les liens familiaux avaient une
importance extrême. Une personne devait
tout à sa famille, et ces liens familiaux s’étendaient aux cercles
concentriques de la famille élargie, du clan, de la tribu, de la nation. En
dehors de ces cercles, il n’y avait que des ennemis. Dans un contexte de guerres presque
continuelles, une personne devait aimer les siens et haïr tous les autres. C’était
une condition de survie.
Jésus a voulu combler aussi ce fossé. Il était venu
apporter le salut à tous les hommes et toutes les femmes. Il aimait tout le
monde et voulait que chacun étende sa capacité d’aimer au-delà des limites de sa
famille et de ses proches. Pour Jésus, les liens familiaux demeurent importants;
mais ils doivent être subordonnés à quelque chose d’encore plus élevé : à
l’amour de Dieu et à son appel à l’amour universel. Rien ne peut barrer la
route à un tel engagement. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le... Si ta main est une occasion de chute, coupe-la... Jésus a montré
lui-même plus d’une fois qu’il ne voulait pas être emprisonné par les liens qui
l’attachaient aux siens.
« Je vous donne
la paix; je vous donne ma paix... » Cette paix apportée par Jésus
n’est pas la simple absence de conflit et encore moins une forme romantique de
tranquillité. Des conflits sont
inévitables entre les humains. S’ils sont toujours évités, la paix qui en
résulte n’est pas la paix que Jésus est venu apporter. S’ils sont bien gérés,
de la façon dont Pierre et Paul l’ont fait au premier Concile de Jérusalem, et
comme l’ont fait à leur manière les premiers martyres chrétiens, alors la paix
du Christ est établie sur notre terre. Cela est vrai de l’Église, d’une
famille, d’une communauté. Il y a des groupements humains, des communautés, où
tout le monde est toujours souriant, où il n’y a jamais de conflits, parce toute
question pouvant être l’objet de conflit est toujours soigneusement évitée. C’est alors une situation semblable à celle
de certains échangeurs parfois très complexes sur nos autoroutes : le
danger d’accident est limité; mais il n’y a plus aucune rencontre. Chacun va
droit devant soi en ignorant les autres.
Jésus est venu apporter le feu sur la terre. Une communauté
chrétienne, que ce soit l’Église universelle, une église diocésaine, une
communauté monastique ou une famille, est une place où il doit y avoir du feu,
parfois même des feux d’artifice. Car le feu apporte la vie et purifie. Demandons à Dieu pour chacun de nous la grâce
d’être fidèles à notre appel à l’Évangile, fidèles à nos principes, fidèles au
Royaume de Dieu, et capables de subordonner tout le reste à cette
fidélité. C’est dans un engagement
radical et honnête comme celui-là que se trouve la source de toute paix ultime.
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Me permettrez-vous d’ajouter un post scriptum plus personnel à ces
réflexions? Avec ma famille monastique, avec ma famille naturelle unie à mois
par la pensée et la prière et représentée ici par une de mes nièces, avec un
bon nombre d’amis, je rends grâce à Dieu d’une façon particulière, au cours de
cette Eucharistie, d’avoir été ordonné prêtre il y a un demi-siècle. J’ai
l’impression que c’était hier; mais ça fait quand même cinquante ans! C’était
durant le Concile Vatican II, l’année où fut votée la Constitution conciliaire
su la liturgie. C’était l’époque où on redécouvrait que l’Eucharistie était
avant tout la célébration d’une communion universelle, avec Dieu et avec les
hommes. C’était l’époque où on redécouvrait que le rôle du prêtre n’était pas
seulement de célébrer des rituels, mais d’être, à la suite du Christ, un
constructeur de ponts et de passerelles entre les humains et entre les
groupements humains de toute nature. Je considère comme une grâce et un peu
comme une ironie de la part de Dieu le fait qu’après avoir fait vœu de
stabilité dans une petite communauté du Québec j’ai été appelé à exercer mon
sacerdoce dans de nombreuses communautés appartenant à plusieurs cultures.
C’est d’ailleurs à Taizé, dans une communauté protestante, avant même le grand
afflux de visiteurs que Taizé a connu les années suivantes et depuis lors, que
j’ai fait ma retraite d’ordination.
Pour tout cela je vous invite à rendre grâce au Seigneur
avec moi.
Armand VEILLEUX
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Homélie pour le même dimanche
en 2001 en français en italien
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