8 mai 2013 – Abbaye de Scourmont

Centenaire de Père Bernard de Give

Sagesse 7, 7-11 ; Luc 24, 13-35 (Pèlerins d’Emmaüs)

 

 

Monition au début de la messe

 

La vie est un don de Dieu. Une longue vie est une grâce spéciale.

Même si l’auteur du psaume 89 (Heb 90), un peu grincheux, se plaint que le nombre de nos années n’est que de soixante-dix ans et que s’il est de quatre-vingt pour les plus vigoureux, les années de plus ne sont que peine et misère ; de nombreux autres passages de la Bible nous décrivent le grand âge et même le très grand âge comme une bénédiction toute spéciale.  La bible connaît plusieurs chiffres sacrés. Le nombre « cent » en est certainement un. Avoir atteint cent ans de vie avec encore une bonne santé physique et une excellente santé mentale est la grâce toute spéciale que Dieu a faite à notre frère, Père Bernard de Give, et nous voulons, au cours de cette Eucharistie en rendre grâce au Seigneur avec lui.

Deux vies en une. Après 41 ans comme jésuite, 41 ans comme cistercien. Ces deux périodes de sa vie sont pour lui aussi importantes l’une que l’autre.

Merci au provincial des Jésuites d’être parmi nous.

 

 

 

Homélie

 

          La rencontre de Jésus avec les deux disciples d'Emmaüs a inspiré plusieurs artistes au long des siècles.  La plupart des peintures connues représentent le Christ à table avec les deux disciples, dans la salle à manger de l'auberge plutôt que sur la route.  Personnellement j'ai toujours été fasciné surtout par leur rencontre sur la route.

 

          En réalité, bien que ce que décrit Luc a certainement un fondement historique, ce qui l'intéresse n'est pas de décrire dans les détails un événement particulier.   Il ne faut pas beaucoup de réflexion ni un grand effort d'analyse pour se rendre compte que ce que Luc décrit dans ce passage – comme dans beaucoup d’autres passages de l’Évangile -- c'est la vie de la première communauté chrétienne, qui poursuit ses occupations ordinaires après la mort et la résurrection de Jésus, mais qui continue de sentir sa présence: 1) à travers le partage de la Parole et la catéchèse, 2) à travers la fraction du pain et 3) à travers la profession de foi.  Luc ne raconte pas un miracle de puissance, mais plutôt un événement qui réjouit l'esprit et réchauffe le coeur.

          Essayons pour un instant d'imaginer ce que ressentait la communauté chrétienne (représentée ici par les deux disciples) après la mort de Jésus.  La vie de Jésus avait été très déconcertante pour eux. Il était apparu comme un jeune prophète ayant tous les signes du Messie;  il avait parlé comme personne d'autre; il était passé en faisant le bien et en opérant des miracles;  mais tout cela avait duré bien peu de temps.  On l'avait mis à mort.  Une phrase du récit exprime bien leur déception:  "Nous pensions que c'était lui..."

          Dans notre vie à chacun d'entre nous il y a certainement eu des moments où nous avons fait l'expérience vive de la présence du Christ.  La certitude absolue de cette présence nous a donné la force de nous engager, comme Chrétiens, comme membres responsables de l'Église, comme moniales ou moines.  Et puis il y a eu probablement d'autres moments où rien ne semblait plus être clair ou certain.  N'avons-nous pas eu envie de dire à ce moment-là:  "Nous pensions que c'était lui..."? 

          Mais le texte de Luc nous rappelle aussi l'importance du souvenir, qui est l'attitude chrétienne fondamentale ("Faites ceci en mémoire de moi...").  Il nous rappelle que chaque fois que, dans un moment de doute et d'épreuve, nous avons le courage de dire: "Je pensais que c'était Lui"... chaque fois, Il est là, marchant à nos côtés sur le chemin, réchauffant nos coeurs, ouvrant nos yeux à la compréhension des Écritures -- pas seulement la Bible, mais aussi les Écritures de notre existence --et nous conduisant au partage du pain avec nos frères et nos soeurs, nous amenant à Le reconnaître dans ce partage.

          Nous savons tous à quel point Père Bernard est sensible à la présence de Dieu dans le coeur et la vie des personnes, y compris les fidèles des grandes traditions religieuses d’Asie. Nous savons le rôle important qu’il a joué lui-même  durant de très nombreuses années dans le dialogue monastique interreligieux.  Je crois que c’est parce qu’à de nombreuses occasions et sous des modes très variés, Jésus s’est présenté à lui comme un étranger sur le chemin d’Emmaüs et qu’il a su chaque fois le reconnaître en son interlocuteur.

          Ayant grandi durant la première guerre mondiale et ayant fait ses études théologiques durant la deuxième, Père Bernard est de cette génération, comme frère Luc de Tibhirine, qui a été confrontée brutalement à ce que l’homme peut faire à l’homme et à la nécessité de bâtir des ponts et des passerelles entre les peuples, les religions et les cultures.  Ce n’est sans doute pas par hasard qu’il choisit comme sujet d’études doctorales à Louvain sous le professeur Mgr Etienne Lamotte, l’étude des rapports de l’Inde et de l’Occident durant les siècles correspondant à l’époque de l’Ancien Testament.  Les huit années qui suivirent, durant lesquelles il fut professeur au Ceylan (Sri Lanka) et en Inde furent l’occasion d’un premier contact personnel avec la sagesse des grandes traditions spirituelles d’Asie.

          De nombreuses rencontres du Christ sur plusieurs chemins d’Emmaüs firent qu’après 41 ans de services dans la Compagnie de Jésus – services dans lesquels il trouva toujours son bonheur, et à l’âge où l’on pense d’ordinaire à la retraite, père Bernard fut conduit à un nouvel Emmaüs du nom de Scourmont.  Sans doute pensait-il y passer dans le repos contemplatif les dernières années de sa vie.

          Mais c’était quelques années après le Concile, c’était aussi les années où le Saint Siège avait demandé aux grands Ordres monastiques d’assumer un rôle de leadership dans le dialogue interreligieux.  Aussi, à peine quelques années après sa profession solennelle comme cistercien, Père Bernard était appelé à participer activement à la naissance et au développement du Dialogue Monastique Interreligieux. Sa solide formation comme Jésuite et son solide enracinement dans l’expérience religieuse chrétienne lui permirent d’être dans tout ce mouvement, un solide point de repère chrétien.  Je suis sûr que Jésus s’est très souvent servi de Père Bernard pour cheminer avec de nombreux chercheurs de Dieu, en particulier des bouddhistes tibétains. 

          Pour nous tous, cette longue expérience de vie chrétienne doit nous ouvrir les yeux à la présence du Christ dans toutes les personnes qu’il met sur notre chemin. Nous vivons des moments à la fois difficiles et enthousiasmants. Au moment où Père Bernard quittait la Compagnie de Jésus pour devenir cistercien, un jeune jésuite d’Argentine terminait ses études théologiques et faisait son troisième an de formation, avant de devenir provincial.  Aujourd’hui, 41 ans plus tard, ce jésuite, transformé en quelque sorte en franciscain, est devenu l’évêque de Rome, et semble déjà donner un nouveau souffle à l’Église et à la Société.

          Vivons ensemble cette célébration d’action de grâce de telle sorte que, dans quelque temps nous puissions dire ne nous la rappelant :  « Notre coeur n’était-il pas brûlant au-dedans de nous ?... »

 

Armand Veilleux

 

 

 

 

 

 

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