8 avril 2012 – Vigile pascale « B »

Rm 6, 3b-11 ; Mc 16, 1-8

 

 

Homélie

 

 

Albert Camus, dans son roman La peste, attribue au docteur Rieux une longue réflexion sur les longs mois où la ville avait été victime de l’épidémie et mise en quarantaine. Il écrit : « Il faut bien le dire, la peste avait enlevé à tous le pouvoir de l'amour et même de l'amitié. Car l'amour demande un peu d'avenir, et il n'y avait plus pour nous que des instants».

 

La longue marche de l’humanité depuis la création jusqu’au temps de Jésus – cette longue marche que les nombreuses lectures de cette célébration nous ont fait revivre – avaient été une situation assez semblable à celle décrite par Camus dans son chef-d’œuvre : beaucoup de guerres et peu d’amour. Une longue suite d’instants.

 

Chaque fois que le peuple d’Israël avait connu un peu d’amour, des liens fraternels, c’était lorsqu’il avait perçu un avenir – un avenir commun – dans les promesses de Dieu à Abraham, à Moïse, et puis dans l’enseignement des prophètes.

 

Et cette longue marche de l’humanité – une marche qui a duré des milliers et peut-être des millions d’années, cette lente et longue croissance de la fleur délicate et fragile appelée espérance, elle se termine où, dans l’Évangile d’aujourd’hui ? – Elle se termine dans un tombeau vide.  Et quel est le sens de ce tombeau vide ? Est-ce simplement un mémorial de la nostalgie, comme le disait Hegel ? Non ! C’est la place où l’espérance vraie et l’amour vrai peuvent naître, car il y a maintenant un avenir.

 

La résurrection du Christ ouvre à l’humanité un avenir collectif.  L’un d’entre nous, Jésus de Nazareth, est entré dans le royaume et est assis à la droite du Père. Ce qui lui est arrivé peut aussi nous arriver. Nous en sommes capables. Nous avons un avenir commun. Il nous est possible d’aimer.

 

Mais il y a toujours le tombeau vide. Hier, nous avons célébré le mystère de la mort du Christ. Cette nuit nous le célébrons comme le Seigneur ressuscité.  Entre les deux il y a un hiatus, un manque de continuité, le tombeau vide.  C’est l’espace de la foi.  De même, sur la croix, entre l’exclamation « Mon père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » et l’autre cri : « Entre tes mains je remets mon esprit », il n’y a pas de continuité logique. Il y a un hiatus, un espace vide dans lequel naît l’espérance. Il y a la même chose dans le récit que nous venons de lire. Le tombeau vide n’a rien prouvé aux femmes. Personne n’a vu le moment de la résurrection. Ce tombeau vide fut pour elle l’espace où a pu naître l’espérance et la foi.

 

Beaucoup de nos projets humains et beaucoup de nos attentes se terminent dans l’échec et parfois dans le désastre. L’espérance peut naître lorsque nous acceptons la mort de nos rêves et de nos attentes.  Sans espace vide, sans tombeau vide, l’espérance n’est pas possible. La foi en Jésus de Nazareth est ce qui nous rend possible de faire le saut depuis la rive de notre pauvreté, de nos faiblesses et de nos peurs vers l’autre rive où le Christ est présent et nous attend dans la Galilée de nos vies quotidiennes.

 

Dans l’Évangile de Marc, au moment de l’arrestation de Jésus, un « jeune homme » était apparu vêtu d’un simple drap.  On avait voulu le saisir, mais il avait laissé aller le drap et s’était enfui tout nu (Marc 14,52). Le matin de Pâques, lorsque les femmes viennent au tombeau, qu’elles trouvent vide, elles voient assis à droite un « jeune homme » (en effet Marc ne parle pas d’un ange, mais d’un jeune homme). Dans les deux cas, le « jeune homme » en question représente symboliquement le Christ lui-même.  Dans le premier cas il laisse son enveloppe mortelle dans les mains de ceux qui sont venus se saisir de lui et qui le mettront à mort.  Dans le deuxième cas, il réapparaît vêtu de blanc, c’est-à-dire de sa divinité, comme l’ont vu les disciples au moment de la Transfiguration, lorsque ses vêtements sont devenus blancs comme la neige.  Il est ressuscité. Il est assis « à droite » -- ce qui est une allusion au verset du psaume 109 où Dieu dit au Messie : « Assied-toi à ma droite ».

 

Ce « jeune homme », le Christ glorieux -- non pas le christ crucifié « qui n’est plus ici » -- demande aux femmes d’aller dire aux disciples qu’il les rencontrerait en Galilée. Et puis, cet Évangile de Marc se termine abruptement sans aucun récit d’apparitions en Galilée. Quel est la signification de ceci ? C’est en Galilée que les disciples avaient vécu la plus grande partie du temps avec Jésus.  C’est là qu’ils avaient été témoins de ses manifestations de la bonté du Père, de ses guérisons. C’est là qu’il leur avait parlé du Royaume. C’était là, dans le concret de leur vie ordinaire de tous les jours, au milieu de leurs barques et de leurs filets, de leurs familles et de leurs amis que Jésus voulait les rencontrer désormais.

 

C’est aussi dans notre Galilée qu’il veut nous rencontrer. Et notre Galilée à nous, c’est quoi ?  C’est notre communauté, notre famille, notre lieu de travail, notre bureau, notre usine, partout où nous rencontrons les autres.

 

Mais pour pouvoir rencontrer Jésus dans notre Galilée, où il se trouve toujours, nous devons accepter de faire une visite au tombeau vide, c’est-à-dire de traverser l’espace vide où nous pouvons laisser toutes nos ambitions humaines.  Cela suppose que, selon la façon de parler de Paul, nous ne marchions plus selon la sagesse de ce monde mais acceptions de marcher selon la folie de la croix. Cela suppose qu’au moins une fois dans notre vie nous avons eu le courage -- et la folie --de brûler nos barques et de couper nos ponts, pour sauter aveuglément sur l’autre rive où Jésus nous attendait.

 

Même si nous n’en étions pas totalement conscients, c’est ce que nous avons fait lorsque nous avons été baptisés, ou lorsque, à l’âge adulte, nous avons assumé toutes les conséquences de ce baptême. C’est pourquoi, en cette nuit de Pâques, nous allons renouveler les engagements de notre baptême.

 

Armand Veilleux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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