1er novembre 2012

Solennité de la Toussaint

 

Homélie

 

          Il y aura à Namur, au cours des prochains jours, un grand rassemblement de Chrétiens sur le thème de l’Espérance.  Le but est, pour tous les participants et participantes, de réfléchir ensemble sur ce qui peut fonder et nourrir notre espérance et nous permettre d’en « rendre compte » face au monde, comme nous y invite la Lettre de Pierre.

 

          Je réfléchissais à ce thème encore ce matin, lorsque j’ai relu le passage de la première Lettre de Jean, que nous venons d’entendre comme deuxième lecture et qui dit : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est.  Et tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur. »

 

          Ces quelques phrases sont d’une richesse extraordinaire. Ils nous indiquent clairement quelle est le seul fondement possible de notre espérance : la personne de Jésus-Christ -- Dieu, qui s’est fait homme, l’un d’entre nous, et qui nous a ainsi révélé ce que nous sommes nous aussi tous appelés à devenir . des enfants de Dieu, partageant sa vie intime, sa divinité.

 

          L’humanité vit depuis quelques années – c’est tellement évident qu’on hésite à le répéter une fois de plus – une crise profonde. Une crise qui se manifeste à tous les niveaux : social, économique, intellectuel et religieux. Dans ce contexte il est important, peut-être plus que jamais, de bien distinguer entre nos espoirs et notre espérance.  Nous portons tous en nous de nombreux espoirs dont les uns se réaliseront peut-être, mais dont la plupart ne se réaliseront que partiellement ou pas du tout. Ce n’est que lorsque nous acceptons le caractère tout relatif de tous ces espoirs, et même lorsque nous acceptons leur mort, que peut se manifester pleinement en nous l’espérance, dont le fondement est dans la personne de Jésus, qui, Lui, ne nous trahira jamais. Sans cette espérance, nous serions facilement le proie du désespoir.

 

          Cette espérance, n’est pas cependant un vague sentiment spirituel. C’est quelque chose qu’il faut vivre et incarner concrètement dans notre vie de tous les jours.  C’est quelque chose qu’il faut « faire », tout comme, dans les mots mêmes de Jésus, il faut « faire la vérité », et non seulement y « croire ».

 

          Pour pouvoir vivre l’espérance et en témoigner dans tous les moments de crise que nous vivons, il faut tout regarder avec des yeux de contemplatifs, comme nous y invite saint Jean, dans le beau texte que j’ai cité au début.  Jean dit que l’objet de notre espérance c’est d’être semblables à Jésus, fils de Dieu. Cela nous sera révélé lorsque nous le verrons tel qu’il est. Mais nous le sommes déjà. Être de véritables contemplatifs – et nous sommes tous appelés à l’être -- c’est s’efforcer de tout regarder avec les yeux de Dieu.

 

          Lors du dernier synode, sur la Nouvelle Évangélisation, le Pape Benoiît XVI avait invité l’archevêque Rowan Williams de Cantorbéry, le primat de l’Église d’Angleterre, à dire un mot au Pères Synodaux.  Alors que les premiers orateurs avaient pour la plupart parlé de la sécularisation comme d’un tsunami qui avait ravagé la foi dans tout le monde occidental – un peu à la manière de l’ouragan Sandy qui vient de ravager la côte est des États-Unis – portant pour la plupart un regard très négatif sur ce monde, Rowan Williams leur parla de contemplation, et de l’importance de regarder le monde avec des yeux contemplatifs pour y percevoir l’action de Dieu.

 

          Dans l’Évangile d’aujourd’hui Jésus nous parle de bonheur et non pas de malheur. Il nous dit qui sont ceux qui sont vraiment « heureux ». Et ses paroles, si on les considère avec attention, sont des paroles surprenantes. Elles n’ont pas grand chose de « religieux ». Il n’y est pas question de religion ou de gestes cultuels, même pas de prière. Ses paroles se réfèrent à la vie concrète – une vie où il y a des gens qui souffrent et qui sont consolés, de gens soumis à leur sort et qui finalement sont comblés, des gens affamés et assoiffés de justice, des personnes qui ont le coeur pur et qui travaillent pour instaurer la paix en ce monde, mais aussi des gens pauvres et des persécutés.  Un monde, somme toute, pas tellement différent du nôtre.  Et, à ce monde, Jésus offre le bonheur. Un bonheur qui est à la disposition de tous, si au lieu de courir après les idoles de l’argent et du pouvoir, on opte pour le règne de Dieu. « Bienheureux les pauvres ; ils ont choisi le royaume des cieux ».

 

          Ce sont tous ces gens heureux que nous célébrons aujourd’hui, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Ceux que nous avons connus dans notre monde et ceux qui ont vécu depuis le commencement des âges -- et que nous connaissons aussi d’une certaine façon.

 

La Toussaint n’est pas un monument au saint inconnu, comme les monuments au soldat inconnu qu’on trouve dans les cimetières militaires, ou sur la place centrale de certaines villes. Ce que nous célébrons c’est la sainteté de Dieu incarnée dans des femmes et des hommes de chair et de sang. Des gens ordinaires, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs vertus et leur péchés ; pas des paranormaux du monde spirituel.  Des « pécheurs à qui Dieu a fait miséricorde » selon la belle définition que Paul Tillich donnait du saint. Des personnes qui ont vécu une sainteté possible et non une sainteté impossible, et qui nous rappellent ce que nous sommes nous aussi appelés à devenir.

 

 

Armand VEILLEUX

 

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