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Jeudi, 10
mai 2012 – 5ème semaine de Pâques
Actes
15, 7-21; Jean 15, 9-11
Abbaye
Notre-Dame de la Paix, à Chimay
H O M É L I E
La dernière recommandation de Jésus à
ses Apôtres, lors du dernier repas qu’il prend avec eux, est un appel à l’amour
fraternel. On n’aurait pas pu faire un meilleur choix pour une lecture
d’Évangile au début d’une Visite Régulière. Or les récits des Actes des Apôtres
que nous lisons durant ce Temps Pascal, nous montrent comment cet amour
fraternel se vit concrètement, au sein d’une communauté, à travers des
relations qui ne sont pas toujours nécessairement faciles. Cet amour se vit
même parfois à travers la résolution de conflits.
La lecture du Livre des Actes que nous
venons d'entendre en est un bel exemple. Ce texte nous décrit une partie des
délibérations du premier Concile œcuménique, celui de Jérusalem (qu’il est bon
de rappeler en cette année où nous célébrons le cinquantième anniversaire de
Vatican II).
Le thème de cette Assemblée de
Jérusalem, était, pour le traduire en langage contemporain, celui de
l'inculturation. La foi chrétienne est nécessairement inculturée. Elle n'est pas simple assentiment de l'esprit
à des vérités révélées. Elle est la
traduction du message évangélique dans la vie de tous les jours. Et comme le message évangélique ne s'adresse
pas à des individus isolés mais à une communauté de croyants, elle a donc
nécessairement une dimension culturelle. Si bien que l'inculturation, loin d'être une préoccupation moderne, est
une dimension essentielle de la foi. Jésus avait vécu et exercé son ministère dans l'univers culturel
juif. Dès que son message fut transmis
aux Nations, le problème de l'inculturation se posa avec acuité, dès le
début; et les Actes des Apôtres nous
décrivent la première résolution de ce problème.
Le Jour de la Pentecôte les Apôtres
s'adressent aux Juifs de Jérusalem et à ceux venus de toutes les parties de la
diaspora, qui les entendent chacun dans sa langue. Ce n'est qu'après la mort d'Étienne et le
début de la première persécution que le diacre Philippe porte l'évangile en
Samarie. Lorsque Paul commence sa
prédication, il incommode tout le monde, si bien que de Damas ont le fait
passer de nuit à Jérusalem et de Jérusalem on l'expédie à Tarse d'où il était venu. Puis la vision qu'a Pierre à Joppé avant sa
rencontre avec Corneille lui révèle que la Loi d'Israël est dépassée et qu'elle
ne peut être appliquée aux païens sur qui descend aussi l'Esprit de Dieu. Enfin, lorsqu'on apprend à Jérusalem les
fruits merveilleux de la première
évangélisation à Antioche, on y dépêche Barnabé, qui a alors l'idée géniale
d'aller à Tarse pour y chercher Paul qu'on y avait renvoyé de façon
cavalière. Toute l'histoire du
christianisme aurait sans doute été radicalement différente si Barnabé n'avait
pas eu cette initiative.
Un dernier élément reste à mentionner,
pour compléter le tableau dans lequel se situe le récit que nous venons de
lire. C'est qu'à la tête de l'Église de
Jérusalem se trouve, depuis les débuts, non pas un des douze Apôtres, mais un
certain Jacques, frère du Seigneur – sans doute un cousin de Jésus -- et qui
incarne l'annonce de l'Évangile aux Juifs tout autant que Paul incarne cette
annonce aux Nations. Nous avons
maintenant toutes les personnes en présence. Quel était le problème?
Un conflit était né à Antioche où des
Chrétiens d'origine juive, venus de Jérusalem, voulaient imposer aux convertis
venant du paganisme de suivre la loi de Moïse et de se faire circoncire. On retrouve donc à Jérusalem, les Apôtres,
autour de Pierre, puis Paul et Barnabé délégués par les Chrétiens d'Antioche,
et enfin les Anciens de Jérusalem autour de Jacques, frère du Seigneur et
épiscope de Jérusalem. La discussion était devenue vive, nous dit Luc dans son
récit. C'est alors que Pierre
intervient, avec tout le poids que lui donne sa primauté. Son intervention est suivie d'un moment de
silence puis sa position est confirmée par Barnabé et Paul qui racontent les
signes et les prodiges opérés par l'Esprit de Dieu chez les païens. Et pourtant l'avis de Pierre n'est pas
suivi. La décision finale de l'Assemblée
ne sera pas celle proposée par Pierre, qui ne veut rien imposer aux convertis
du paganisme; ce sera plutôt un
compromis proposé par Jacques, à mi-chemin entre la position de Pierre et celle
des fidèles issus du pharisaïsme, qui voudraient imposer à tous l'application
de la loi de Moïse.
Cet exemple est pour nous tous plein
d'instruction. Il nous enseigne d'abord
que les discussions – et même les discussions vives – font partie de la
tradition ecclésiale la plus ancienne. Il nous enseigne aussi que, contrairement à ce que voudraient tous les
fondamentalismes, les règles de la vie chrétienne – et donc aussi de la vie
monastique -- ne peuvent se déduire d'une façon purement logique et
mathématique de principes abstraits. L'art du compromis n'est pas simple exercice de politique
opportuniste; le compromis est souvent
exigé par le respect évangélique des différences.
Demandons à l’Esprit d’instaurer et de
maintenir cette ouverture d’esprit et ce sens du dialogue au sein de notre
communauté, de notre Ordre, de notre Église et de notre Société.
Armand VEILLEUX
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