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26 février 2012 - Premier dimanche de Carême
"B"
Gen 9, 8-15; 1 Pierre 3, 18-22; Marc 1, 12-15
H O M É L I E
Tout de suite après son baptême par
Jean-Baptiste Jésus s’est retiré au désert où il fut tenté par Satan. Chaque année, le premier dimanche de carême,
nous avons le récit de ce moment de la vie de Jésus, selon un évangéliste
différent. Matthieu et Luc nous
racontent en détail les tentations auxquelles Jésus fut soumis. Le récit de
Marc, que nous lisons cette année, est beaucoup plus sobre. Il ne décrit pas
ces tentations, et même il ne fait que mentionner, en passant, que Jésus fut
tenté par Satan durant ses quarante jours au désert. Ce qui est important dans
le récit de Marc c’est d’abord le désert lui-même, et le fait que Jésus y fut
poussé par l’Esprit. Et aussi le fait que ce moment de désert fut un moment de
transition entre son baptême et son retour en Galilée pour y proclamer la Bonne
Nouvelle.
La solitude ou le désert ont une
grande place dans la vie humaine, spécialement dans les moments de transition
ou de passage. Dans toutes les grandes cultures de l’humanité on retrouve la
tradition selon laquelle quelqu’un doit se retirer dans la solitude avant
d’assumer une mission particulière comme celle de shaman ou de prêtre, et y
passer à travers une série d’épreuves et de danger. Il retourne ensuite à son clan ou à son peuple
avec une nouvelle identité et une nouvelle identification à sa mission. Ceci est
un archétype humain qu’on retrouve dans toutes les grandes traditions
culturelles aussi bien en Asie qu’en Afrique ou dans les traditions amérindiennes.
Les descendants d’Abraham passèrent
collectivement par cette épreuve du désert, qui dura quarante ans, et au cours
de laquelle ils furent constitués comme un peuple avec qui Dieu établit une
relation privilégiée et à qui Dieu donna une mission. Mais déjà, bien
auparavant, à la sortie de la longue solitude symbolique dans l’arche durant le
déluge, Dieu avait déjà conclu une alliance avec Noé, l’ancêtre d’Abraham,
comme nous en avons entendu le récit dans la première lecture.
Jésus qui était venu se faire baptiser
par Jean au milieu des foules qui descendaient de Jérusalem vers le Jourdain
pour recevoir le baptême de conversion, avait entendu la voix du Père lui
disant : « Tu es mon Fils bien-aimé ». Il s’était alors retiré dans le désert avant
de revenir ensuite vers les siens avec son identité de Messie.
Puisque Dieu, en Jésus, est entré dans
le désert de notre humanité, nous n’avons pas à nous inquiéter outre mesure du
fait que notre Église, particulièrement dans la vielle Europe, mais de façon diverses
un peu partout, vit actuellement une période de désert. Plutôt que de
rechercher les causes de cette situation dans la sécularisation, le relativisme
et toutes sortes d’autres « ismes », ne
pourrait-on pas y voir la main de l’Esprit conduisant son Église – ou ses
Églises – au désert, comme l’entrevoyait déjà l’auteur de l’Apocalypse, pour
lui confier une nouvelle mission dans le désert de l’humanité
d’aujourd’hui ?
Tout comme les Hébreux, à peine
libérés de leur captivité égyptienne, voulaient retourner à cette captivité qui
leur assurait au moins une certaine sécurité, ne fût-ce que celle de la
nourriture essentielle à la survie, la tentation des Chrétiens d’aujourd’hui
est de vouloir revenir au confort des formes anciennes de religiosité qui conféraient
à la fois une reconnaissance sociologique et une forme de pouvoir sur
l’ensemble de la société.
Au désert, Jésus apprit à vivre aussi
bien avec les bêtes sauvages qu’avec les anges, selon l’expression symbolique
de l’évangéliste Marc. Le désert de la
société actuelle qui est celle au cœur de laquelle nous sommes appelés par
l’Esprit à vivre, est constitué par une pénurie de plus en plus grande de
véritables relations humaines simultanément à une explosion des communications.
Ce qui est au cœur de notre foi, c’est la relation, c’est-à-dire la
communion. Une relation avec Dieu qui
s’incarne dans une relation avec des frères et des sœurs et qui s’ouvre à toute
l’humanité, aussi bien à ceux qui nous semblent des bêtes féroces qu’à ceux qui
peuvent nous sembler des anges.
Dans le désert de notre société
actuelle, les moyens de communications sont utilisés pour faire la guerre et
organiser les révolutions. La mission des disciples de Jésus de Nazareth, dans
ce désert est non seulement d`y maintenir une authentique communion avec tous,
mais aussi d’inventer de nouvelles expressions de communion.
Dans le désert de notre société
actuelle, l’étranger est exclu et rejeté, ainsi que quiconque est
« différent ». Dans ce désert la mission du Chrétien est d’être le
frère universel, défendant non seulement ses propres droits mais les droits de
tous et en particulier le droit à la différence.
Dieu seul sait quelle sera la longueur
du présent désert et du présent hiver. Mais une chose est certaine, la
plénitude de Vie qui nous est destinée et que nous sommes appelés à transmettre
est dans l’inconnu d’un avenir que plusieurs arcs-en-ciel nous permettent déjà de
percevoir, et non dans un retour factice à un passé révolu.
Allons
donc de l’avant, ensemble, vers la lumière de Pâques, sans oublier que celle-ci
jaillira de la solitude d’un tombeau.
Armand
VEILLEUX
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