26 mars 2012 -- Solennité de l'Annonciation

Isaïe 7,10-14; Hébreux 10,4-10; Luc 1,26-38

 

 

H O M É L I E

 

          L'Évangile de l’avant-dernier dimanche nous montrait Jésus chassant du Temple les vendeurs de bœufs, d'agneaux et de colombes et renversant les tables des changeurs.  Par ce geste symbolique percutant, Jésus montrait qu'avec sa venue, il avait mis fin aux sacrifices de l'Ancienne Alliance.  Désormais c'est sa propre personne, son corps ressuscité, qui remplaçait la liturgie ancienne.  "Détruisez ce Temple, et en trois jours je le restaurerai. "

 

          Cet enseignement est repris par le passage de la Lettre aux Hébreux que nous avons comme seconde lecture, ce matin.  En entrant dans le monde, le Fils de Dieu fait Homme dit à son Père: « Tu n'as pas voulu de sacrifices ni d'offrandes, mais tu m’as fait un corps… Je suis venu pour faire ta volonté. » -- « Tu m’as fait un corps ». Ce serait un grave contresens que d’interpréter ce texte comme si la mort du Christ avait été un sacrifice du même genre que ceux de l’Ancien Testament où les victimes animales auraient été simplement remplacées par le corps de Jésus comme victime immolée.

 

          C’est par son obéissance, c’est-à-dire son union d’amour à la volonté du Père, que le Christ nous a sauvés. Et cette obéissance à Dieu n’est possible que dans un homme, c’est-à-dire dans un corps d’homme. Le mystère que nous célébrons aujourd'hui, en cette solennité de l'Annonciation, c'est précisément le tout premier instant de cet acte, ou plutôt de cette attitude d'obéissance.  Le Fils de Dieu a, de toute éternité, une seule volonté avec le Père;  c'est en s'incarnant, en commençant sa vie d'homme, qu'il a pu commencer à "conformer" sa volonté à celle du Père, à obéir.  Nous célébrons le moment précis où il prit chair dans le sein de Marie.

 

          En septembre 2003, le professeur Adolphe Gesché, quelques mois avant sa mort, alors que son propre corps était déjà rongé par la maladie qui allait l’emporter, prononçait à Louvain une admirable conférence sur la dignité du corps, avec comme titre : « L’invention chrétienne du corps ». Il y montre le caractère absolument révolutionnaire de la révélation chrétienne selon laquelle Dieu s’est fait chair. Dieu a pris un corps. Déjà dans l’Ancien Testament, c’est le corps de l’homme et de la femme qui sont faits à l’image de Dieu, avant même que Dieu ne leur insuffle son esprit.

 

          L’incarnation de Dieu, dont nous célébrons aujourd’hui le premier instant, nous révèle toute la dignité de ce corps – de notre corps.  C’est à travers lui que nous servons Dieu, que nous faisons sa volonté. L’obéissance – la nôtre, comme celle du Christ – n’est pas une simple disposition de l’esprit ou de ce que nous appelons l’âme, dans les catégories de la philosophie grecque – qui ne sont pas celles de l’Écriture. Je suis venu « faire » ta volonté, dit le Christ. De même, pour nous, obéir – ou aimer, car c’est la même chose – c’est faire.

 

          Non seulement notre corps est digne, mais parce que le Verbe de Dieu en s’incarnant a assumé toute la nature humaine, mais nous sommes le Corps du Christ, et notre prochain est aussi le Corps du Christ.  C’est en ce sens que saint Paul écrit aux Corinthiens que si, dans leurs banquets eucharistiques, ils mangent à leur faim de la nourriture qu’ils ont apporté, en laissant leurs frères souffrir de la faim, ils pèchent contre « le corps du Christ », c’est-à-dire contre le corps de leurs frères avec qui le Christ s’identifie.

 

          Marie n’est évidemment pas être étrangère à ce mystère de l’Incarnation.  Bien au contraire, ce mystère, dans sa réalisation, dépend de sa propre obéissance.  Sont ainsi révélées à la fois la grandeur de l'être humain et l'humilité de Dieu:  Le Verbe n'a pu dire à son Père:  "Me voici pour faire ta volonté", avant qu'une humble jeune fille ne dise : "Qu'il me soit fait selon ta parole".

 

          De par notre vocation monastique, aussi bien que de par nos engagements du baptême, et même, au delà de tout cela, de par notre création à l'image de Dieu, nous sommes appelés à obéir, c'est-à-dire à aimer, conformant notre volonté à celle de Dieu.  Laissons-nous, en cette célébration, envahir par l'admiration et l'étonnement devant le mystère de la volonté divine qui veut faire dépendre de notre obéissance la réalisation concrète, dans le temps, de l’obéissance du Christ et en faire dépendre notre propre salut ainsi que ce celui de toute l'humanité.

 

 

Armand VEILLEUX

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