21 avril 2011 – Jeudi Saint
Ex 12, 1...14;  1 Co 11, 23-26; Jn 13, 1-15

 

« Jésus sachant que son heure était venue... ».

            Dans toutes les religions païennes avant le Christ – et même dans la religion juive de l’Ancien Testament – quelque chose devenait « sacré » lorsqu’il était séparé, mis à part. Ces religions nécessitaient des intermédiaires entre Dieu et les hommes des « Grands prêtres », qui devaient rester séparés de tout ce qui est profane.  Or, la Lettre aux Hébreux montre que le Christ a été consacré grand-prêtre par le mouvement inverse, non pas en étant séparé du reste des hommes mais en devenant l’un d’entre eux, en se faisant leur frère en humanité jusqu’à la mort.

            C’est à cette lumière que nous pouvons comprendre un peu mieux le récit de la dernière Cène de Jésus avec ses disciples selon saint Jean. Attardons-nous un moment au début du récit : « … sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » À qui fait référence l’auteur de l’Évangile par l’expression « les siens qui étaient dans le monde » ? Fait-il référence à ses disciples et en particulier aux Apôtres ?  Non.  Il faut lire ce texte à la lumière du Prologue de l’Évangile.  « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu… Il est venu chez les siens qui étaient dans le monde, et les siens ne l’ont pas reçu ».  C’est tous les « siens », tous les humains, y compris « les siens qui ne l’ont pas reçu » que Jésus a aimés et qu’il aima jusqu’au bout.

            Cette phrase « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout » introduit non seulement le récit de la dernière Cène, mais tout ce qui va suivre, jusqu’au bout du bout, jusqu’à la mort sur la croix, lorsqu’il dira « Tout est consommé ! ».

            La célébration de ce dernier repas n’avait rien d’une dernière rencontre intimiste, un peu sentimentale, où Jésus aurait fait ses adieux à ses disciples avant de les quitter.  Ce fut un événement dramatique, où se jouait la vie de Jésus, celle de tous les participants, y compris de Judas et celle de l’humanité.

            Dans ce contexte, le lavement des pieds n’avait rien d’un rituel.  C’était un geste concret de service par celui qui s’était fait le serviteur de tous. Et quand, à la fin, il leur dit, je vous ai donné l’exemple afin que vous fassiez de même, il ne les appelait pas à répéter de temps à autre ce rituel (car ce n’en était pas un).  Il les appelait à se mettre au service -- non seulement les uns des autres, mais au service de tous les « siens », y compris les siens qui ne l’ont pas reçu.

            Ce récit de la dernière Cène nous met en garde contre la tentation constante de concevoir l’Eucharistie à la lumière de la notion de sacré de l’Ancien Testament et des religions païennes. Il nous met en garde contre la tentation de faire de nos Eucharisties des célébrations intimistes où il fait bon de se retrouver entre frères et amis. Non ! Chacune de nos Eucharisties doit plutôt nous décentrer de nous-mêmes, individuellement et communautairement pour nous ouvrir au service du monde que Jésus a aimé et pour lequel il est mort, l’aimant jusqu’au bout.

            Plusieurs pays sont actuellement à feu et à sang ; notre Église est elle-même secouée par des crises profondes, que ni la célébration d’aujourd’hui ni les grandes célébrations romaines des semaines à venir ne doivent nous faire oublier.  Oublier tout cela pour entrer aujourd’hui dans un souvenir intimiste d’un repas lointain de Jésus avec quelques amis serait déformer le message évangélique.  Ce message exige plutôt que nous nous approchions du Mystère avec toute cette humanité que Jésus a assumée, et que nous nous engagions à nous mettre, comme lui, à son service, chacun selon notre vocation propre.

            Après tout, si le Monde d’aujourd’hui et l’Église d’aujourd’hui sont ce qu’ils sont, n’est-ce pas parce que nous ne les avons pas aimés « jusqu’au bout » ?

 

Armand VEILLEUX

 

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