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21 avril 2011 – Jeudi
Saint
« Jésus sachant que son heure était venue... ».
Dans
toutes les religions païennes avant le Christ – et même dans la religion juive
de l’Ancien Testament – quelque chose devenait « sacré »
lorsqu’il était séparé, mis à part. Ces religions nécessitaient des
intermédiaires entre Dieu et les hommes des « Grands prêtres », qui
devaient rester séparés de tout ce qui est profane. Or, la Lettre
aux Hébreux montre que le Christ a été consacré grand-prêtre par le
mouvement inverse, non pas en étant séparé du reste des hommes mais en devenant
l’un d’entre eux, en se faisant leur frère en humanité jusqu’à la mort.
C’est à
cette lumière que nous pouvons comprendre un peu mieux le récit de la dernière
Cène de Jésus avec ses disciples selon saint Jean. Attardons-nous un moment au
début du récit : « … sachant
que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant
aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » À
qui fait référence l’auteur de l’Évangile par l’expression « les siens qui
étaient dans le monde » ? Fait-il référence à ses disciples et en
particulier aux Apôtres ? Non. Il faut lire ce texte à la lumière du Prologue de l’Évangile. « Au
commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu… Il est venu chez les
siens qui étaient dans le monde, et les siens ne l’ont pas reçu ». C’est tous les « siens », tous les
humains, y compris « les siens qui ne l’ont pas reçu » que Jésus a
aimés et qu’il aima jusqu’au bout.
Cette
phrase « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au
bout » introduit non seulement le récit de la dernière Cène, mais tout ce
qui va suivre, jusqu’au bout du bout, jusqu’à la mort sur la croix, lorsqu’il
dira « Tout est consommé ! ».
La
célébration de ce dernier repas n’avait rien d’une dernière rencontre
intimiste, un peu sentimentale, où Jésus aurait fait ses adieux à ses disciples
avant de les quitter. Ce fut un
événement dramatique, où se jouait la vie de Jésus, celle de tous les
participants, y compris de Judas et celle de l’humanité.
Dans ce
contexte, le lavement des pieds n’avait rien d’un rituel. C’était un geste concret de service par celui
qui s’était fait le serviteur de tous. Et quand, à la fin, il leur dit, je vous
ai donné l’exemple afin que vous fassiez de même, il ne les appelait pas à
répéter de temps à autre ce rituel (car ce n’en était pas un). Il les appelait à se mettre au service -- non
seulement les uns des autres, mais au service de tous les « siens »,
y compris les siens qui ne l’ont pas reçu.
Ce récit
de la dernière Cène nous met en garde contre la tentation constante de
concevoir l’Eucharistie à la lumière de la notion de sacré de l’Ancien
Testament et des religions païennes. Il nous met en garde contre la tentation
de faire de nos Eucharisties des célébrations intimistes où il fait bon de se
retrouver entre frères et amis. Non ! Chacune de nos Eucharisties doit
plutôt nous décentrer de nous-mêmes, individuellement et communautairement pour
nous ouvrir au service du monde que Jésus a aimé et pour lequel il est mort, l’aimant
jusqu’au bout.
Plusieurs
pays sont actuellement à feu et à sang ; notre Église est elle-même
secouée par des crises profondes, que ni la célébration d’aujourd’hui ni les
grandes célébrations romaines des semaines à venir ne doivent nous faire
oublier. Oublier tout cela pour entrer
aujourd’hui dans un souvenir intimiste d’un repas lointain de Jésus avec
quelques amis serait déformer le message
évangélique. Ce message exige plutôt que
nous nous approchions du Mystère avec toute cette humanité que Jésus a assumée,
et que nous nous engagions à nous mettre, comme lui, à son service, chacun selon
notre vocation propre.
Après
tout, si le Monde d’aujourd’hui et l’Église d’aujourd’hui sont ce qu’ils sont,
n’est-ce pas parce que nous ne les avons pas aimés « jusqu’au bout » ?
Armand VEILLEUX
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