22 mars 2011 – Abbaye de Scourmont
Job 19, 1-23-27a ; 1 Jean 3, 1-2 ; Matthieu 5, 1-12a

 

Funérailles de Père Godefroid (Jean) Leveugle

 

            Père Godefroid avait gardé un souvenir très vivant et plein d’estime de celui qui fut son premier abbé, Dom Anselme Le Bail. Il m’avait remis un jour une copie de l’allocution faite par Dom Anselme au chapitre, lorsqu’il le reçut comme novice.  Père Godefroid avait alors 19 ans. Il avait voulu entrer deux ans plus tôt, mais Dom Anselme lui avait conseillé de poursuivre durant deux ans ses études de philosophie à Louvain. 

            Cette allocution dans laquelle Dom Anselme s’adressait évidemment à toute la communauté et non seulement au jeune novice comporte plusieurs éléments intéressants.  Tout d’abord Dom Anselme affirme que le jeune Jean (c’était le nom de baptême de Père Godefroid) remplissait déjà deux ans auparavant toutes les conditions pour être admis, mais que cela ne constituait pas un droit !  Il devait être « appelé » par l’autorité légitime.  Et le père Abbé avait jugé préférable qu’il continue sa formation intellectuelle, car il voulait dans sa communauté des hommes et non des enfants !

            De plus, Dom Anselme, dans cette allocuation, faisait sur l’avenir de Scourmont et de l’Église des remarques dont la clairvoyance dépassait le contexte de l’année 1946. Citant les situations de crise ou de persécution par lesquelles l’Église était passée lors de la révolution anglaise en 1538, française de 1789 et espagnole de 1834, il soulignai la créativité de l’Église anglaise qui avait continué de former ses recrues à Douai, à Reims, à Rome et en Espagne, pour les renvoyer ensuite en Angleterre. Il citait évidemment aussi, dans le contexte monastique, l’expérience des moines de la Trappe qui, en pleine tourmente révolutionnaire, avaient continué à se recruter et à se propager dans les deux mondes.

C’était un regard visionnaire qui a sans doute marqué profondément le jeune frère Godefroid qui a toujours gardé un intérêt vif pour tout ce qui touchait le monde, l’Église, l’Ordre et spécialement la filiation de Scourmont.  Il a, par exemple, toujours gardé des contacts fraternels avec le père Francis Mahieu, fondateur de Kurisumala, en Inde, qui avait été son père-maître, de même qu’avec ses confrères d’âge de Caldey, dont certains firent leurs études avec lui à Scourmont, lui-même ayant fait un bref séjour à Caldey.  Il garda aussi des contacts étroits avec nos communautés de moines et de moniales du Congo, auxquelles il rendit beaucoup de services lorsqu’il fut cellérier.

Saint Benoît, dans le Prologue de sa Règle, dit que le monastère est fait pour ceux qui désirent la vie et veulent des jours heureux. C’est sans doute ce désir qu’a reconnu chez père Godefroid Dom Anselme lorsqu’il l’a accueilli au monastère.  Malgré ses problèmes chroniques de santé, père Godefroid était un homme heureux, et peut-être encore plus soucieux du bonheur des autres.

Le bonheur qu’on cherche et qu’on trouve au monastère, n’est pas une longue suite d’agréments superficiels. C’est celui que Jésus proclame dès le début de sa prédication, dans ce qu’on appelle son Sermon sur la Montagne, dont chaque verset commence par le mot « heureux ».  Heureux ceux qui ont un coeur de pauvre, et donc un coeur pur. Ceux-là sont des doux et savent pleurer. Ils savent surtout pleurer sur la misère des autres, de ceux qui ont fait et soif de pain et de justice.  Ils sont des artisans de paix.

Père Godefroid a trouvé son bonheur en servant ses frères, qu’il aimait.  Et lorsque ses forces diminuèrent et encore plus lorsque son état de santé ne lui permettait plus de servir, son bonheur consistait à se laisser servir par de plus jeunes.

C’était un homme de communauté qui, même dans la confusion qui l’envahissait graduellement au cours des dernières années à cause de la nature de sa maladie, s’efforça aussi longtemps que ce fut possible, de participer à la vie communautaire. Sa présence aux Offices et aux repas était précieuse, même s’il était alors souvent dans un fuseau horaire différent du nôtre. Ses dernières semaines se passèrent d’abord à la Clinique, puis dans un home spécialisé où il fut traité avec une grande attention et reçut des soins spécialisés de grande qualité, que nous n’aurions pas pu lui donner ici. Même alors il n’était pas éloigné de nous.

Il nous a quittés en ce deuxième dimanche de Carême, au moment où nous lisions l’Évangile de la Transfiguration.  Nous sommes convaincus que le Seigneur a déjà exaucé la prière que nous Lui exprimerons durant cette Eucharistie, et qu’il l’a transfiguré lui aussi, en l’admettant dans sa pleine lumière.  

Que se réalise en lui le cri d’espérance de Job : « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant, et... qu’avec mon corps je me tiendrai debout, et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. »

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

www.scourmont.be