17 juillet 2911 - 16ème dimanche ordinaire "A"

Sg 12,13.16-19; Rm 8,26-27; Mt 13,24-43

Abbaye de La Clarté-Dieu, Bukavu, Rép. Dém. du Congo

 

H O M É L I E 

(profession solennelle de soeur Francine) 

          L'Évangile de Matthieu a regroupé ici trois paraboles de Jésus qui se rapportent toutes les trois au Royaume des cieux, ce Royaume que Jésus est venu instaurer sur terre.  C'est le Royaume qui sera pleinement réalisé à la fin des temps, mais qui est déjà présent et en croissance.  Et précisément, une caractéristique du Royaume, que toutes les trois paraboles, chacune à sa façon, met en lumière, c'est que ce Royaume, comme tout ce qui est créé, est soumis à une loi de croissance.  Même le Fils de Dieu, lorsqu'il s'est incarné, s'est soumis à cette loi.  L'Évangile ne dit-il pas qu'il croissait en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes.

Ces paraboles nous parlent du grain semé dans la terre, et qui germe lentement; puis de la graine de moutarde, toute minuscule, mais d'où sort une plante assez importante, puis de la pincée de levain qu'une ménagère met dans trois grandes mesures de farine, et qui fait lever toute la pâte. 

          Cet Évangile, qui est celui du 16ème dimanche du Temps Ordinaire, me semble bien adapté à la célébration d’une profession solennelle. Une telle profession n’est pas un point d’arrivée ; ce n’est pas le moment où l’on s’installe dans la vie monastique ou dans la communauté.  C’est plutôt une étape dans un long chemin de croissance qui a débuté avec notre entrée dans la vie monastique et qui doit durer jusqu’à notre rencontre ultime avec le Seigneur.   

          Comme vous le savez, chères Soeurs, notre Ordre se préoccupe particulièrement en ces années-ci de la question de la « formation ».  Ce sera d’ailleurs un des thèmes principaux du prochain Chapitre Général. Or, dans tous les documents officiels de l’Ordre, la formation est conçue tout d’abord comme un processus qui dure toute la vie, et qui est une conversion continuelle, une transformation graduelle à l’image du Christ, sous l’action de l’Esprit Saint. 

          Une première leçon de l’Évangile que nous venons d’entendre est que la croissance prend du temps, et que chaque plante a son propre rythme de croissance.  Ce n'est pas en tirant sur une fleur qu'on la fera grandir plus vite.  Nous voudrions tout réaliser rapidement, presque instantanément, y compris notre propre conversion, et encore plus celle de nos soeurs ou de nos frères.  Or Dieu met un siècle et plus à faire croître un chêne.  Et, heureusement pour nous, Dieu est aussi patient avec nous qu'il l'est avec le chêne.  

          Il y a en nous une semence de vie divine que Dieu a mise en chacun de nous lorsqu'il nous a créés à son image et lorsqu'il a insufflé dans les narines du premier homme son souffle de vie, selon l'image du livre de la Genèse.  Parce que nous sommes créés à l'image de Dieu, parce qu’il nous a donné son Esprit, cet Esprit crée en nous une aspiration constante à une croissance continuelle.  Nous sommes appelés à être toujours plus conformés à l'image du Christ.  C'est en devenant conscient de cette aspiration et en la faisant nôtre que nous pouvons réaliser le précepte évangélique de prier sans cesse – qui est au coeur de l’existence monastique.  C'est de cette prière que parle saint Paul dans la deuxième lecture d'aujourd'hui, lorsqu'il dit que nous ne savons pas prier mais que l'Esprit Saint intercède en nous avec de gémissements ineffables.  Laissons ce gémissement, ce désir, cette aspiration à une croissance toujours plus grande prendre sans cesse plus de place en nous. 

          Une autre leçon de notre Évangile d’aujourd’hui est de ne pas nous instaurer en juges de nos frères et de nos soeurs. Notre tendance naturelle est de classer les personnes en deux catégories, les bons et les mauvais.  Évidemment nous nous mettons généralement dans la première catégorie.  C'est la tendance aussi bien des individus que des nations ou des groupements religieux. 

          Toujours travaillés par un profond besoin de sécurité, nous sommes facilement dérangés par le caractère relatif de toutes choses.  Nous essayons alors de transformer en absolus tous nos concepts, et nous sommes aisément troublés par ceux qui ne ressentent pas le même besoin. Nous devenons vite intolérants et sectaires. 

          Les Apôtres eux-mêmes étaient scandalisés par l'attitude des Pharisiens et de certains disciples hésitants, et ils auraient même voulu que Jésus fasse descendre le feu du ciel sur ses ennemis.  Jésus s'y refusa.          Il était le pasteur universel.  Il n'était pas venu en puissance comme un juge ayant pour mission de séparer les bons des méchants.  Il n'établissait pas de lignes de séparation entre les disciples.  Il ne jugeait pas.  Il était venu pour les pécheurs et il espérait simplement que tous et toutes se reconnaissent comme tels.  Dans son amour, attendant une réponse, il avait un respect extraordinaire pour tous ceux qu'il aimait.  Sa patience était l'expression d'un détachement de soi-même radical. Tout au long de sa vie il fut l'incarnation de la patience divine à l'égard des pécheurs.  Il montra que le pardon divin était sans limites et qu'aucun péché ne pouvait arracher l'homme au pouvoir du Père. 

          Étant le Corps du Christ, l'Église a reçu la tâche d'incarner la patience de Jésus envers l'humanité.  Sa mission n'est pas de séparer les bons des mauvais, mais de présenter un authentique visage de l'amour.  Ainsi en est-il de la petite Église locale que constitue une communauté monastique, comme de l’Église universelle. Sur terre, le grain est toujours mêlé à la paille et même à l'ivraie.  La ligne de séparation entre le bien le mal passe au milieu de chacun de nous.  La séparation ne peut intervenir qu'après la mort. 

          Aucun d'entre nous ne peut espérer être capable d'imiter la patience du Christ, à moins d'être nourri de sa Parole et de son Pain.  C'est pour cette raison que nous célébrons encore aujourd'hui l'Eucharistie, qui peut nourrir en nous les germes de vie.   

*   *   * 

          Chère soeur Francine, si ton désir est bien, comme j’en suis confiant, de poursuivre cette croissance, de laisser le Christ te transformer graduellement, au sein de la Communauté de La Clarté-Dieu, dans le respect du rythme de croissance de chacune de tes soeurs, je t’invite à prononcer ton engagement définitif dans les mains de ton abbesse.

Armand VEILLEUX

 

www.scourmont.be