1 août 2010 – Jubilé de sœur Benita
Abbaye de La Clarté-Dieu, Murhesa, RD du Congo
Osée 2,16b.17b.21-22; 1Cor 1,26-31; Luc 24, 13-35

  

H O M É L I E

  

          L’Évangéliste Luc rapporte trois apparitions de Jésus le jour de Pâques:  1) celle aux femmes qui furent les premières à avoir le courage de venir au tombeau de grand matin;  2) celle aux deux disciples qui avaient décidé de retourner à leur village et à leurs occupations;  3) celle aux Douze qui étaient encore paralysés par la peur dans l'endroit où ils s'étaient enfermés.

 

          La rencontre avec les deux disciples d'Emmaüs a inspiré plusieurs artistes au long des siècles.  Mais la plupart des peintures connues représentent le Christ à table avec les deux disciples, dans la salle à manger de l'auberge plutôt que sur la route.  Personnellement j'ai toujours été fasciné surtout par leur rencontre sur la route.

 

          En réalité, bien que ce que décrit Luc a certainement un fondement historique, ce qui l'intéresse n'est pas de décrire dans les détails un événement particulier.   Il ne faut pas beaucoup de réflexion ni un grand effort d'analyse pour se rendre compte que ce que Luc décrit dans ce passage – comme dans beaucoup d’autres passages de l’Évangile -- c'est la vie de la première communauté chrétienne, qui poursuit ses occupations ordinaires après la mort et la résurrection de Jésus, mais qui continue de sentir sa présence: 1) à travers le partage de la Parole et la catéchèse, 2) à travers la fraction du pain et 3) à travers la profession de foi.  Luc ne raconte pas un miracle de puissance, mais plutôt un événement qui réjouit l'esprit et réchauffe le coeur.

 

          Essayons pour un instant d'imaginer ce que ressentait la communauté chrétienne (représentée ici par les deux disciples) après la mort de Jésus.  La vie de Jésus avait été très déconcertante pour eux.  Il était apparu comme un jeune prophète ayant tous les signes du Messie;  il avait parlé comme personne d'autre; il était passé en faisant le bien et en opérant des miracles;  mais tout cela avait duré bien peu de temps.  On l'avait mis à mort.  Une phrase du récit exprime bien leur déception:  "Nous pensions que c'était lui..."

 

          Dans notre vie à chacun d'entre nous il y a certainement eu des moments où nous avons fait l'expérience vive de la présence du Christ.  La certitude absolue de cette présence nous a donné la force de nous engager, comme Chrétiens, comme membres responsables de l'Église, comme moniales ou moines.  Et puis il y a eu probablement d'autres moments où rien ne semblait plus être clair ou certain.  N'avons-nous pas eu envie de dire à ce moment-là:  "Nous pensions que c'était lui..."?  Nous pensions faire sa volonté, nous pensions qu'il serait avec nous pour toujours.  Nous nous attendions à faire sans cesse l'expérience de sa présence.  Et maintenant, c'est le troisième jour, le troisième mois, la troisième année que nous faisons l’expérience de son absence...   Et si quelqu'un nous a demandé alors pourquoi nous étions si tristes, nous avions envie de répondre:  "Tu es bien le seul ici à ne pas savoir que tout va mal... dans l'Église, dans le monde, dans ma communauté, dans ma vie"...

 

          L'Évangile d'aujourd'hui nous rappelle l'importance du souvenir, qui est l'attitude chrétienne fondamentale ("Faites ceci en mémoire de moi...").  Il nous rappelle que chaque fois que, dans un moment de doute et d'épreuve, nous avons le courage de dire: "Je pensais que c'était Lui"... chaque fois, Il est là, marchant à nos côtés sur le chemin, réchauffant nos coeurs, ouvrant nos yeux à la compréhension des Écritures -- pas seulement la Bible, mais aussi les Écritures de notre existence --, et nous conduisant au partage du pain avec nos frères et nos soeurs, nous amenant à Le reconnaître dans ce partage.

 

          Chère sœur Benita, un jour vous avez connu Jésus et son message.  Et vous y avez fait suffisamment foi pour vous engager à son service. Il y a maintenant déjà 50 ans que vous avez fait votre engagement définitif. Je suis sûr que tout au long de votre vie il a dû y avoir des moments de doute ou d’hésitation où, comme les deux disciples d’Emmaüs, vous avez dit, ou en tout cas vous avez eu envie de dire : « Je pensais que c’était Lui… mais… » Mais chaque fois, puisque vous êtes toujours ici, Jésus vous a fait reconnaître sa présence, dans la célébration de l’Eucharistie, mais aussi dans la communauté des sœurs avec qui vous avez vécu durant ces cinquante ans. Aujourd’hui vos sœurs, votre famille et tous vos amis s’unissent à vous pour remercier Jésus d’avoir toujours été là, présent, à vos côtés.

 

          Nous sommes les disciples de Jésus... Nous sommes tous en route vers Emmaüs.  Nous nous racontons les uns aux autres ce qui s'est passé... ou ne s'est pas passé.  Parce que nous avons le courage de faire cela, en mémoire de lui, il est là sur le chemin, marchant à nos côtés.  Il est l'un d'entre nous;  il est chacun de nous.  Il est ce que chacun de nous doit être pour l'autre... "Nos coeurs ne sont-ils pas brûlants au dedans de nous?..."        

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

 

 

 

 

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