Job 19, 1-23-27a ;  1 Jean 3, 1-2 ; Job 19, 1-23.27a

Abbaye de Scourmont

 

Homélie pour la Messe de Funérailles de Père Charles Dumont

(28 décembre 2009) 

Noël est la fête de l’humanité de Dieu. C’est la célébration du mystère de la naissance de Dieu dans notre temps, notre espace, notre chair. 

            Au moment où est né Cîteaux, dans les dernières années du 11ème siècle, le Peuple de Dieu était traversé par un courant de spiritualité qui se laissait fasciner par l’humanité de Dieu manifestée en Jésus de Nazareth.   Les premiers Cisterciens, et saint Bernard plus que tout autre ont chanté la grâce, c’est-à-dire la beauté de l’humanité du Christ.  La fête de la Nativité occupait une place toute particulière dans leur spiritualité liturgique.  

            Pour un moine comme Père Charles, qui a médité tout au long de sa vie les écrits de saint Bernard, on ne saurait guère imaginer de plus beau moment que la nuit de Noël pour passer de cette terre à la demeure éternelle.  Non seulement Père Charles a lu et médité les écrits des Pères cisterciens, mais il a appris à un très grand nombre de moniales et de moines, et aussi de laïcs et de prêtres à les connaître et à les aimer.  Cette grâce de mourir le matin de Noël est comme un clin d’oeil du Seigneur  et de ses saints. 

            Dans l’Évangile que nous venons de lire, Marthe est confrontée à la mort et reçoit de son ami, Jésus, la révélation que la mort n’est pas le dernier mot.  Pas même ici-bas.  « Je suis la Résurrection et la Vie », dit Jésus.  Dans les poèmes de Père Charles, publiés peu après ses 80 ans, le thème de la mort revient très souvent.  Jamais d’une façon morbide cependant.  La mort y apparaît toujours comme un porte ouvrant sur la vie. Je me permets de citer le dernier poème de la collection – un poème écrit en 1999 : 

Dans le temps j’étais enfant...

J’entends couler la rivière

Mais j’ai vieilli dans ce temps

Je vois baisser la lumière...

 

Entre-temps passa la vie

De jour en jour je m’en vais

Sans regret et sans envie

Car les jours se font mauvais

 

Mais là-bas s’ouvre une porte :

Ma maison d’éternité !

J’y arrive et que m’importe

Ce qui était vanité ?

 

Hors de l’espace et du temps

Dans ma vie et en ma mémoire

Recueillie en un instant

L’Amour lira mon histoire.

 

            L’amour a le dernier mot. Il donne son sens à notre histoire. Qui dit histoire dit cheminement. Pour Père Charles, avec sa santé toujours fragile et sa sensibilité de poète, ce chemin ne fut jamais facile. Mais il avait un sens parce qu’il avait un but.  Il n’est pas surprenant que pour le plus important de ses livres, celui où il décrit la sagesse cistercienne selon saint Bernard, Père Charles ait choisi comme titre : « Au chemin de la paix ».  Le cheminement, répondant à un désir qui ne cesse de tourmenter le coeur, mène irrésistiblement vers la rencontre de l’Etre Aimé, dans la communion de l’amour.  Mais cette rencontre du Prince de la Paix, cette pleine satisfaction du désir ne se fait qu’au bout d’un long et lent processus de pacification.  Nous qui avons vécu avec Père Charles avons pu admirer le travail de la grâce qui en a fait graduellement un homme de plus en plus pacifié. 

            Cette paix profonde vient de la conviction toujours plus ancrée dans le coeur que Dieu est amour.  Si Dieu est amour, et s’il nous a aimés au point de faire de nous ses enfants, comme nous l’avons entendu dans la Lettre de Jean, dont nous avons lu un passage,  il convient de nous aimer les uns les autres.  C’était là, pour les premiers Cisterciens, comme pour saint Jean, une logique implacable. Pour eux, l’amour du prochain était non seulement une conséquence ou une exigence de l’amour de Dieu.  C’était le chemin vers cet amour.  C’est pourquoi l’amitié avait tant d’importance pour eux, à l’exemple de l’amitié qui unissait Jésus à Marthe, Marie et Lazare et qui permettait à ces deux femmes de lui parler avec une telle liberté. Père Charles, tout le monde le sait, avait un don particulier pour l’amitié. Nombreuses sont les personnes qui ont reçu réconfort, encouragement, lumière dans leurs rencontres avec lui.  

            Aujourd’hui nous sommes réunis ici pour lui manifester encore une fois, d’une façon collective, notre amitié en priant Dieu de l’accueillir sans plus d’attente dans le secret de son amour.  

            J’aimerais terminer en citant l’une des dernières et des plus belles prières de Père Charles – inspirées du Cantique des Cantiques -- publiées dans la collection Poèmes et Prières, en priant pour que cette prière se réalise pleinement pour lui dans la Jérusalem céleste : 

Mon esprit repose en Dieu, quand je me souviens de Lui, de Ses paroles, de Ses gestes qui témoignaient de Son amitié pour moi ...

Mais que seraient le souvenir et les souvenirs de Dieu sans la promesse de Sa présence entière, de son étreinte ? ...

Il me désire depuis toujours et je Le désire au-delà de tous mes désirs, Lui qui seul pourra combler ma longue attente.  Comme l’enfant dans les bras de sa mère, mon cœur repose en Dieu. 

 

Armand VEILLEUX           

 

 


 

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