21 février 2010 - 1er dimanche de Carême "C"
Deut 26, 4-10; Rom 10, 8-13; Luc 4, 1-13

 

H O M É L I E 

 

            Cet évangile nous rapporte ce que nous appelons les « tentations de Jésus » au désert.   

            Chacun des trois Évangiles Synoptiques, Matthieu, Marc et Luc mentionnent dès le début de la vie publique de Jésus, après son baptême par Jean-Baptiste dans le Jourdain, l’épreuve à laquelle Jésus fut soumis.  En Marc, qui est sans doute le récit le plus ancien, cela se résume à deux versets disant simplement que Jésus fut poussé au désert par l’Esprit, qu’il y fut tenté durant quarante jours. Qu’il était au milieu de bêtes sauvages et que les anges le servaient.  Dans les deux autres Évangiles ce récit est amplifié et en quelque sorte dramatisé, et trois tentations particulières sont mentionnées, même si l’ordre est différent en Matthieu et Luc. 

            Si l’on essayait de comprendre ce texte comme un récit historique on n’en finirait pas d’énumérer les inconsistances et les détails invraisemblables, et on s’interdirait d’en comprendre le message.  Il s’agit d’un récit hautement symbolique.  L’essentiel est dit dans les deux versets de Marc : Au moment de son baptême Jésus est investi de sa mission de Messie.  L’Esprit descend sur lui et l’amène dans le désert, c’est-à-dire au coeur du peuple où il sera soumis toute sa vie publique à des épreuves et à des contradictions. Les bêtes sauvages représentes les chefs religieux du Peuple et les Pharisiens qui ne cesseront de le combattre ; et les anges représentent ses disciples, le petit groupe de femmes et d’hommes qui l’accompagnent et le servent. 

            Nous sommes facilement introduits en erreur par l’utilisation du mot « tentation » et du verbe « tenter » dans la traduction de ces textes.  Pour nous, lorsque nous parlons de « tentation », nous pensons tout de suite à quelque chose qui nous porte à faire le mal.  Ce n’est pas le sens du mot grec utilisé par les auteurs bibliques.  Le substantif grec peirasmós, et le verbe correspondant reviennent très souvent aussi bien dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau.  Dans son sens premier le mot signifie « exploration », « tentative ».  Il s’agit de vérifier ce que vaut quelqu’un, quelle est sa résistance et sa force.  Puis, dans la Bible le mot signifie une épreuve, comme, par exemple, lorsque Job est mis à l’épreuve pour voir jusqu’où va sa fidélité à Dieu. Et finalement le mot signifie aussi ce que nous appelons aujourd’hui tentation : tout ce qui peut nous pousser à faire le mal. 

            Pour comprendre ce récit, tel qu’il se trouve au début de l’Évangile de Luc – c’est-à-dire le récit que nous venons de lire – il faut tenir compte d’une petite phrase que Luc met dans la bouche de Jésus à la fin de son Évangile, durant son dernier repas avec ses Disciples.  Il leur dit :  "Vous êtes, vous, ceux qui avez tenu bon avec moi dans mes épreuves. » (Luc 22:28). 

            Les épreuves décrites par Luc dans ce récit initial sont une vue générale de tout ce que Jésus aura à subir durant ses quelques années de vie publique.  Et Luc voit déjà plus loin. Son récit comprend déjà une réflexion théologique sur les épreuves, les dangers, les tentations auxquelles seront soumis les disciples de Jésus après sa mort.  Ce sont aussi les tentations auxquelles sera exposée son Églises tout au long de son histoire. 

            On y reconnaît facilement les préoccupations propres à Luc.  Ainsi, par exemple, dans le texte de Matthieu, le démon montre à Jésus tous les royaumes de la terre et leur gloire et lui dit : « Si tu te prosternes pour m’adorer je te donnerai tout cela ».  En Luc, le démon est beaucoup plus précis.  Il dit « Je te donnerai tout ce pouvoir et toute la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donne à qui je veux ».  En effet, pour Luc le « pouvoir » et la « gloire » sont quelque chose de diabolique. 

            Les trois épreuves ou tentations décrites par cet Évangile représentent toutes les tentations auxquelles individuellement ou collectivement – soit comme Église, soit comme Société – nous sommes sans cesse soumis.  La tentation de se laisser dominer soit par l’attrait des plaisirs sensibles, soit l’attrait du pouvoir et des honneurs, ou celle de renoncer à nos propres responsabilités comptant que Dieu s’occupera de nous en réparant nos erreurs, nos paresses ou notre témérité. 

            La réponse divine, dans chaque cas est un appel à la responsabilité personnelle.  Elle décrit non pas ce que Dieu a à faire mais ce que nous avons à faire.  La première réponse est un appel à vivre en plénitude – l’homme ne vit pas seulement de pain, et non de se contenter de nourrir le corps ; la deuxième réponse est un appel à ne se prosterner et à ne se faire l’esclave de rien d’autre et de personne d’autre que Dieu ; et la troisième un appel à prendre ses responsabilités plutôt qu’à compter sur des interventions extraordinaires de Dieu dans nos vies. 

            Enfin, on peut remarquer que Luc qui, en bon écrivain sait commencer et clore un récit, met habilement et implicitement sur les lèvres de Jésus, dans la fin de son dialogue avec le démon, une affirmation de sa divinité. En effet, le récit commence en disant que Jésus est mis à l’épreuve par le démon et il se termine par la phrase de Jésus « tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ». 

            El le démon le quitte jusqu’au moment fixé, jusqu’à ce que l’heure de Jésus soit arrivée, l’heure de sa Passion et de sa mort, où les forces du mal semblent l’avoir finalement vaincu, en attendant le matin de la Résurrection.

 

Armand VEILLEUX

 

Homélie pour le

même dimanche

en 2001

 

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