20 décembre 2009 – 4ème dimanche de l'Avent "C"
Mi 5, 1-4; He 10, 5-10; Lc 1, 39-45
Abbaye de La Clarté-Dieu, Murhesa, RDCongo

 

H O M É L I E  

(Profession solennelle de sœur Generosa) 

        Dans l'Ancien Testament, au Second Livre de Samuel (2S 6, 2-11), on trouve une description du transfert de l'Arche d'Alliance à Jérusalem.  L'Arche, qui était le symbole de la présence de Dieu, reposait depuis quelque temps dans la maison d'Obed-Edom et avait été une source de grande bénédiction pour cette maison.  David y avait dansé devant l'Arche.   

        Saint Luc, dans la description qu’il fait de la visite de Marie à sa cousine Élizabeth dans le récit de son Évangile que nous venons de lire, reprend tous ces éléments.  Comme l'Arche, Marie entreprend un voyage qui la mène de Galilée en Judée à travers les montagnes de Samarie.  La même manifestation de joie a lieu, y compris la danse sacrée accomplie par Jean-Baptiste dans le sein de sa mère, correspondant à celle de David devant l'Arche.  Et l'exclamation d'Élisabeth saluant Marie reproduit presque verbalement celle de David lorsqu'il se tenait devant l'Arche. Marie est la véritable Arche d'Alliance, communiquant la présence de Dieu à tous ceux qu'elle visite.  Mais tout cela est fait dans une extrême simplicité, et avec une admirable touche d'humanité.         

          Dès le moment où Marie avait dit :  « Qu’il me soit fait selon ta parole » s’était réalisé en elle ce que saint Jean exprime dans la phrase lapidaire du Prologue de son Évangile : « Et le Verbe s’est fait chair ».   

          Dans le passage d’Évangile que nous venons de lire, Luc nous décrit un des premiers moments de la réalisation de ce mystère extraordinaire qui veut que Dieu se soit fait « chair », c’est-à-dire du mystère de l’incarnation. 

          C’est le même mystère qu’exprime la Lettre aux Hébreux, lorsqu’elle met dans la bouche du Fils de Dieu les mots du psalmiste : « Tu n'as pas voulu de sacrifices ni d'offrandes, mais tu m'as fait un corps... Me voici, je suis venu pour faire ta volonté... Et c'est par cette volonté de Dieu que nous sommes sanctifiés, grâce à l'offrande que Jésus Christ a faite de son corps. » 

          Dans notre passage d’Évangile, deux femmes se trouvent en présence l’une de l’autre.  Deux femmes enceintes ; donc deux femmes qui, de leur chair ont donné naissance à un autre être de chair qu’elles portent encore dans leur ventre.  Or, il n’y a pas que la chair de ces deux femmes et celle de l’enfant que chacune d’elles porte qui se trouvent ici en présence.  Il y a aussi l’Esprit.  Et dès qu’elles se saluent, la salutation de Marie communique à Élizabeth l’Esprit de Celui qu’elle porte et l’enfant que porte Élizabeth tressaille déjà physiquement dans le ventre de sa mère.   

          Saint Benoît, dans sa Règle, dit que le moine qui s’est consacré à Dieu par la profession monastique doit vivre dans une totale pauvreté, puisqu’il a renoncé même à la possession de son propre corps.  C’est que, par la profession monastique, le moine ou la moniale, à la suite du Christ, veut se donner à Dieu avec son être tout entier, comme l’a fait le Christ selon le beau texte de la Lettre aux Hébreux que j’ai cité plus haut : Tu m’as fait un corps. Me voici pour faire ta volonté. 

          Chère soeur Generosa, en te consacrant définitivement à Dieu par la profession monastique, tu te donnes tout entière à Lui, esprit, âme et corps. Tu désires transformer toute ton existence de chaque jour comme un sacrifice vivant à Dieu – non seulement les inspirations profondes de ton coeur ou les aspirations de ton esprit, mais aussi toute ton activité corporelle de tous les jours, aussi bien les gestes physiques de la prière commune que les plus humbles formes du travail manuel au service de la communauté. 

          Lorsque nous faisons cette consécration dans la simplicité de notre coeur, comme tu le fais aujourd’hui, avec la générosité qu’exprime ton nom, nous ne savons jamais jusqu’où nous mènera ce chemin que nous entreprenons.  Soeur Denise avait fait ce don.  Elle se dévoua au service de la communauté dans de nombreuses tâches, puis, de façon tout à fait inattendue, Dieu l’a rappelée à elle après les Premières Vêpres du jour-même du 15ème anniversaire de sa profession solennelle.  

          Vous toutes, chères Soeurs de La Clarté-Dieu, êtes encore profondément marquées par le spectacle du corps de Denise, baignant dans son sang, sur le lieu de son travail quotidien, quelques instants après son brutal assassinat. Pour elle, ce fut le don définitif de son corps, à la suite du Christ.  Et vous n’avez sans doute pas été sans vous rappeler les mots de nos frères de Tibhirine dans une circulaire qu’ils écrivaient peu avant leur propre mort.  La mort violente, qu’ils ne désiraient pas du tout mais qu’ils acceptaient comme quelque chose qui pourrait bien leur arriver, serait, disaient-ils, tout à fait dans la ligne du don qu’ils avaient fait d’eux mêmes le jour de leur profession. 

          Notre Dieu n’est cependant pas un Dieu mort, mais un Dieu ressuscité. Nous ne vivons pas, au monastère, une spiritualité de mort, mais une spiritualité de vie.  La mort – surtout la mort violente – d’un membre de la communauté est toujours une séparation tragique dont nous portons longtemps la douleur.  Mais la vie continue.  Déjà, s’est manifesté dans la vie de votre communauté, cette victoire de la vie sur la mort.  La candidate qui devait commencer son postulat le lendemain de l’assassinat de soeur Denise l’a fait, tel que prévu, quelques jours plus tard.  Les deux postulantes qui devaient prendre l’habit de novice le même jour l’ont fait, elles aussi, quelques jours plus tard.  Et aujourd’hui soeur Générosa s’engage pour la vie dans votre communauté, malgré le contexte d’insécurité qui continue de marquer celle-ci. 

          Chères Soeur, tous ces événements constituent la façon qui vous est donnée de manifester à travers la vie de votre communauté votre foi en la Résurrection – une foi qui consiste à proclamer de toutes les manières possibles que la Vie est plus forte que la mort. 

          Chère soeur Générosa, si, comme j’en suis convaincu, tu es toujours désireuse de répondre à l’amour de Dieu sur toi en t’engageant définitivement à la suite du Christ dans cette communauté de La Clarté-Dieu, je t’invite à faire cet engagement dans la main de ton abbesse devant ta communauté monastique et tout le peuple de Dieu ici présent.

 

Armand Veilleux

           

 

           

 

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