22 août 2009 – Consécration de l’église du Monastère de
Notre-Dame de Kibungo, Rwanda
Neh. 8, 2a. 4a, 5-6. 8-10 ; Eph 2, 19-22 ;  Luc 19, 1-10. 

 

H O M É L I E 

Chères frères et soeurs, 

          Une différence importante et intéressante entre les temples des grandes religions traditionnelles – celles d’Asie en particulier -- et les temples chrétiens réside dans l’utilisation de l’espace.  Les premiers sont conçus comme des lieux de résidence de la divinité.  Les seconds – les églises chrétiennes -- sont conçus comme le lieu de rencontre du peuple de Dieu.  Les premiers, étant des hommages à la divinité, sont souvent finement sculptés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, l’intérieur étant en général presque entièrement rempli de nombreuses statues ou d’une statue géante, avec un espace assez limité réservé aux fidèles qui viennent adorer la divinité.  Dans les temples chrétiens au contraire, la majeure partie de l’espace est consacrée au peuple qui vient s’y rassembler pour adorer et prier Dieu en commun. Une église chrétienne est la maison du Peuple de Dieu. Et c’est parce que Dieu est présent en son peuple qu’elle est aussi maison de Dieu. 

          On sait que David, après s’être construit un palais superbe, avait décidé -- dans ce qu’il concevait sans doute comme un moment de grande magnanimité -- de construire aussi une résidence à Dieu (« Voici que je vis dans un palais de cèdre et que Dieu vit sous la tente !)  Et Dieu lui avait répondu : « Ce n’est pas toi qui me construira une maison ;  c’est moi qui t’en ferai une. » 

          Il y a quelque chose de semblable dans l’Évangile d’aujourd’hui.  Zachée veut voir Jésus.  Zachée n’était pas précisément un pieux enfant de choeur.  C’était un collecteur d’impôts, et même le chef des collecteurs d’impôts de Jéricho.  Il était connu dans la ville comme un pécheur.  Il avait cependant un coeur d’enfant.  Il savait que Jésus allait passer par sa ville et il voulait tellement le voir, qu’il oublia pour un instant son importance et se mit à courir comme un enfant et grimpa dans un arbre pour le voir. 

          Que se passa-t-il alors ? – Les rôles furent renversés.  Alors que Zachée voulait voir Jésus, c’est Jésus qui vit Zachée et le regarda avec des yeux pleins d’amour qui le transformèrent.  Jésus leva les yeux vers Zachée dans son sycomore et lui dit : «Zachée, descends vite: aujourd'hui il faut que j'aille demeurer chez toi».  Jésus veut entrer chez Zachée – non seulement dans sa maison, mais dans son coeur et dans sa vie, qui s’en trouve transformée.   

          Nous pouvons alors comprendre pourquoi les églises chrétiennes ne sont pas d’abord des maisons de Dieu, mais des maisons du peuple de Dieu.  C’est que Dieu ne veut pas habiter dans des maisons faites de main d’homme, mais dans le coeur de chacun d’entre nous.  « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » nous dit saint Paul. 

          C’est parce que le Christ habite en nos coeurs que chaque fois que deux ou trois d’entre nous nous réunissons au nom du Seigneur,  il est là au milieu de nous.  Et chaque fois que des moniales ou des moines se réunissent dans l’église de leur monastère pour exprimer dans la prière commune cette communion dans la foi, l’amour et l’espérance, elles/ils sont Église, elles/ils sont Peuple de Dieu et Jésus est là, présent au milieu d’elles/eux.  C’est d’ailleurs là la première forme de présence réelle du Christ dans l’Église.  Et chaque fois que nous faisons ensemble mémoire de Lui dans la célébration eucharistique, il est là présent dans toute la plénitude de sa présence : deuxième forme de présence réelle. 

          Zachée n’est-il pas un peu chacun de nous ?  Ou, plutôt, ne sommes-nous pas, chacun d’entre nous, un peu Zachée ? Saint Benoît, au début de sa Règle, dit qu’il a écrit celle-ci pour ceux qui, éloignés de Dieu par la désobéissance (ou le péché), veulent revenir à Dieu par la voie de l’obéissance.  Si nous sommes venus au monastère c’est que nous étions des publicains, que nous n’avions pas la pauvreté du coeur prêchée par Jésus, et que nous cherchions une voie de conversion.  Ce chemin de conversion nous l’avons trouvé dans la Règle de Benoît.  Nous étions trop petits pour voir Dieu, et nous sommes montés dans notre sycomore, nous lançant sans doute avec une ardeur de novices dans l’observance de tout ce qui pouvait nous rapprocher de Dieu.  Et puis, heureusement, un jour Jésus nous a dit : « Descends de ton sycomore.  Ce n’est pas du haut de ton ascèse et de ta vertu que tu peux voir Dieu.  C’est moi qui veux habiter chez toi, dans ton coeur. »   Si nous avons entendu cette parole, si nous l’avons laissée pénétrer en nos coeurs, elle y a créé chaque fois une attitude de componction, et surtout de partage. Si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus.   

          Chaque fois que nous sommes fidèles à cet idéal de recherche de Dieu et de conversion, s’applique à nous la parole de Jésus qui termine l’Évangile que nous venons d’entendre : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham.  En effet le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.   

          Aujourd’hui nous sommes réunis ici pour remercier Dieu d’avoir voulu et permis la naissance de cette communauté monastique de Notre-Dame de Kibungo et d’y avoir fait un lieu privilégié de sa présence.  Nous le remercions aussi d’avoir donné à cette communauté ce lieu matériel, cette église de pierre, de béton et de bois, où les moniales pourront se réunir tous les jours pour chanter sa louange. 

          La première lecture, tirée du livre de Néhémie est  également intéressante à ce regard.  Le peuple d’Israël, après des années d’exil avait oublié la Loi du Seigneur.  Cette Loi est retrouvée et proclamée de nouveau solennellement par le prêtre Esdras, au temps du prophète Néhémie.  Il est de même bon pour nous, de temps à autre, de lire de nouveau notre histoire chrétienne et monastique à partir du début.  Ce serait une bien longue histoire. On pourrait mentionner les voies mystérieuses qui ont fait parvenir ici des soeurs de Murhesa après quelques années d’exil à l’étranger occasionné par la guerre. On pourrait mentionner la venue des soeurs d’Igny à Murhesa un demi-siècle plus tôt, l’odyssée des Cisterciens et Cisterciennes durant la Révolution française, l’odyssée des moines de Molesmes vers Cîteaux au 12ème siècle, saint Benoît et sa Règle au 6ème siècle, les moines du désert d’Égypte, etc  et on remonterait ainsi jusqu’à la parole du Christ : « Viens, suis-moi » -- parole qui a inspiré et soutenu toutes ces odyssées, ces exils et ces fondations. 

          Toute église locale doit avoir une dimension contemplative.  Et donc, lorsque des communautés contemplatives comme celle-ci sont instaurées dans une église locale, c’est un aspect essentiel du visage de celle-ci qui est rendu plus manifeste et plus visible. C’est pourquoi il est très symbolique que la consécration de cette église monastique où cette communauté célébrera les louanges de Dieu durant des générations – on l’espère ! – soit présidée par l’évêque du diocèse. Et nous sommes évidemment tous heureux que l’évêque consécrateur soit accompagné de son prédécesseur à qui la naissance de cette communauté est due dans une très large mesure.  Et aussi de prêtres et de laïcs du diocèse, sans oublier l’évêque de Butare, natif de Kibungo !  

          Cette communauté appartient à un Ordre monastique, qui est une grande communauté de communautés réparties à travers le monde entier.  Plusieurs représentantes et représentants de l’Ordre Cistercien, et des autres branches de la grande famille cistercienne, venant surtout des monastères du Rwanda et des pays voisins sont aussi présents.

          Tous ensemble nous formons une grande famille – la famille de Dieu.  Et c’est parce que Dieu veut faire en chacun de nous, et tout particulièrement dans cette communauté de Kibungo sa demeure, que cette maison sera aussi maison de Dieu.  C’est pourquoi nous allons la consacrer à cet usage dans la belle célébration qui va suivre et qui se poursuivra par l’Eucharistie, au cours de laquelle nous rendrons grâce à Dieu tout spécialement pour ce don.

 

Armand Veilleux

 

         


 

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