Homélie d'une année antérieure pour le même dimanche

 

26 mars 2000 -- 3ème dimanche de Carême "B"

Exode 20, 1-17; 1Cor 1, 22-25; Jean 2, 13-25

H O M É L I E

            En ces jours où nous sommes témoins de tant de violence un peu partout à travers le monde, il serait agréable d'avoir devant les yeux l'image d'un Jésus plein de douceur et de tendresse, tel ce Jésus doucereux des images de style St-Sulpice, caressant tendrement la brebis que nous voudrions être.  Mais l'image que nous donne Jean, dès le début de son Évangile, dans le chapitre que nous venons de lire, est celle d'un Jésus violent.

            N'expliquons pas trop rapidement et trop facilement cette violence comme une "sainte violence" justifiée par des abus scandaleux.  En fait il n'y avait aucun abus.  Des animaux devaient être offerts au Temple chaque jour, et ces animaux devaient répondre à certaines exigences de pureté.  Les juifs achetaient sur place l'animal qu'ils devaient offrir.  Cette pratique était presqu'aussi ancienne que le Temple lui-même.  Et tous les Juifs venant de la diaspora devaient d'abord échanger leur argent étranger avant de pouvoir acheter l'animal pour leur sacrifice.  C'était là aussi une pratique aussi ancienne que la diaspora elle-même.

            Pourquoi alors cette violence de Jésus?  En réalité son attitude est d'un radicalisme encore plus grand qu'il n'apparaît au premier abord.  En fait, Jésus met fin à l'économie sacrificielle elle-même.  Dans la religion d'Israël, comme dans toutes les religions anciennes, il y avait un lien essentiel entre violence et sacré.  Il y a en tout être humain une source de violence, qui est liée à l'énergie vitale elle-même, et à travers celle-ci, au divin.  Cette violence qu'il porte effraie l'homme et il essaie de la domestiquer en la canalisant dans des sacrifices où les victimes immolées deviennent l'objet rituel de cette violence.  Dans les sacrifices, l'homme projette hors de lui-même la violence qu'il porte et qui l'étouffe et il arrive alors à mener une vie sociale plus ou moins harmonieuse.

            Toute la liturgie sacrificielle du Temple s'inscrivait dans cette logique.  En chassant du Temple tout le monde -- non seulement les animaux -- Jésus montre bien qu'il entend mettre fin à cette religion sacrificielle.  Et les Juifs le comprennent fort bien lorsqu'ils lui demandent un signe montrant qu'il a l'autorité de faire quelque chose d'aussi radical, de plus radical que tout ce qu'ont fait tous les prophètes antérieurs. 

            La réponse de Jésus est elle aussi d'un radicalisme terrifiant:  elle signifie qu'à partir de maintenant l'être humain ne peut plus ritualiser la violence qu'il porte, ne peut plus la projeter rituellement hors de lui-même.  Il doit faire face à cette violence là où elle se trouve: dans son coeur et dans sa vie, qu'elle soit violence infligée ou violence subie.  Le signe qu'une ère nouvelle est commencée c'est que les juifs tueront Jésus et que, par fidélité à son père et par amour pour nous, Jésus acceptera d'être l'objet de cette violence.  La mort de Jésus n'a pas été une mort sacrificielle.  Il n'a pas été immolé comme un agneau.  Il a été exécuté, assassiné, par la même violence dont tant d'autres ont été et sont victimes.

            À partir de ce moment-là, nous ne pouvons plus apaiser Dieu par des sacrifices.  Il nous faut courageusement faire face à la violence que nous portons en nos coeurs et la dompter là où elle se trouve.  La mort de Jésus n'a pas été un sacrifice dans le sens où l'étaient les sacrifices de l'Ancien Testament.  C'est toute la vie de Jésus, avec sa mort et sa résurrection qui remplace l'ensemble des sacrifices de l'Ancienne Alliance.  De même c'est à travers toute notre vie, en faisant face courageusement à tout ce que nos coeurs peuvent porter de violence, sans nous laisser dominer par elle, et aussi en acceptant éventuellement d'être l'objet de la violence des autres par amour du Christ, que nous devenons nous aussi un sacrifice spirituel agréable à Dieu.

            Comme nous l'enseigne la phrase mystérieuse de la fin de cet évangile, il ne suffit pas de croire en Jésus.  Il faut aussi que nous vivions avec un degré d'honnêteté et de vérité tel que Jésus puisse aussi croire en nous.

 

Armand VEILLEUX

 

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