15 janvier 2009 – jeudi de la 1ère semaine ordinaire, années impaires

Héb. 3, 7,14; Marc 1,40-45

 

Homélie

 

            Au temps de Jésus, le mot « lèpre » était une expression générique pour désigner une grande quantité de maladies, spécialement les affections de la peau, et surtout les maladies contagieuses et incurables.  À cause de l’horreur qu’on éprouvait face à ces diverses formes de maladies, ceux qui en étaient affectés étaient victimes d’ostracisme.  On les séparait du reste du peuple, souvent en vertu de lois religieuses.  Ainsi les hommes se protégeaient non seulement du contact physique avec un malade contagieux, mais ils se dispensaient, psychologiquement et spirituellement, de regarder en eux-mêmes.

 

            L’un des grands romans du 20ème siècle – un roman qui valut à son auteur un prix Nobel – est La Peste d’Albert Camus, publié peu après la Seconde Guerre Mondiale (en 1947).  Ce roman raconte l’histoire d’une ville d’Algérie, où la population fut soudainement frappée d’une épidémie de peste bubonique, une peste qui décima, à diverses époques, de large secteurs de la population du globe, avant la découverte du vaccin. La ville est mise en quarantaine et tout le livre est une description de l’attitude de divers personnages face à ce mal physique soudain et inattendu.  (Je crois que quiconque veut réfléchir sur le problème du SIDA à notre époque, doit lire ce roman).

 

            Camus n’était pas chrétien, même s’il avait défendu, dans sa jeunesse, une thèse de doctorat sur Saint Augustin.  Il n’était pas non plus athée.  Il se considérait postchrétien.  Et parce qu’il mettait très honnêtement en question la chrétienté telle qu’il l’avait connue dans sa façon de réagir au mal, il redécouvrit des attitudes qui sont en réalités profondément chrétiennes.

 

            Il y a deux personnages principaux dans ce roman : un prêtre et un médecin. Le médecin était le docteur Hérou, et j’ai oublié le nom du prêtre (je cite de mémoire).

Le médecin est le premier à découvrir les signes de la peste, et il mettra beaucoup de temps à convaincre tous les autres de ce qui pour lui était évident.  Durant tout le temps que dure la peste dans la ville mise en quarantaine (et il s’agit d’années) il se consacre totalement au soin des malades ; il organise des services de santé, il ensevelit les morts, il invente même un vaccin et finalement il met fin à l’épidémie.  Ni lui ni Camus ne considèrent rien de tout cela comme héroïque ou même vertueux.  C’est simplement ce qu’il devait faire dans les circonstances. Lorsqu’on veut le féliciter, après la fin de l’épidémie, il répond simplement: vous ne félicitez pas un professeur pour avoir enseigné que deux et deux font quatre. Si quelqu’un est dans le besoin et que vous pouvez répondre à son besoin, vous devez le faire, tout simplement.  Il n’y a rien d’héroïque là-dedans, même si vous y risquez votre vie, et même si vous y laissez votre vie.

 

            L’histoire du prêtre est intéressante.  Au début de la crise, il a toutes les réponses prêtes.  La ville, dit-il, a été frappée de la peste parce que le peuple le méritait.  Dieu est déçu du monde moderne en général et d’eux en particulier.  Mais la miséricorde divine veut leur donner une autre chance.  La peste indique la voie pour le salut futur.  Ce bon prêtre peut voir Dieu en action, transformant le mal en bien.  En raisonnant ainsi, il « justifie » la peste et essaie d’amener le peuple à aimer ses souffrances.  À cela le bon docteur, qui n’est certes pas un catholique pratiquant, répond en homme pratique, et en réalité avec une bonne dose de compassion chrétienne.  « Les Chrétiens parlent parfois ainsi, dit-il, sans que ce soit vraiment ce qu’ils pensent ».  Et il ajoute ce compliment un peu décapant : « Ils sont meilleurs que ce qu’ils paraissent ! » Et il explique aussi que le bon prêtre parle ainsi parce qu’il n’a appris que de ses livres de théologie. « À cause de cela, dit-il, il peut parler avec tant de certitude de la Vérité (avec un grand « V »).  Et il ajoute : « N’importe quel prêtre de campagne, qui a entendu un homme respirer avec difficulté sur son lit de mort, pense comme moi, et il s’efforce d’alléger la souffrance humaine sans en proclamer l’excellence... » (citation de mémoire).

 

            Si nous revenons maintenant à notre Évangile, je crois qu’il na pas besoin de grand commentaire.  Il est évident que l’attitude du prêtre au début du roman de Camus, avec toutes ses explications concernant le péché et la punition divine, était l’attitude des Scribes et des Pharisiens et , en général, de la religion officielle d’Israël.  L’attitude du médecin de ce roman est semblable à celle de Jésus.  Il touche simplement le lépreux de sa main et le guérit.  Jamais, dans tout l’Évangile, Jésus n’a donné une explication de la lèpre ou d’une autre maladie – même lorsqu’on lui demande de le faire.    (Par exemple, lorsqu’on lui demande pourquoi quelqu’un est né aveugle  -- à cause de ses péchés ou de ceux de ses parents – Jésus ne répond pas à la question. Il se contente de guérir l’aveugle.  Pour lui le mal n’est pas une chose qu’on peut expliquer, mais une chose dont il doit délivrer l’humanité).

 

            Je suppose qu’alors chacun de nous doit se demander, dans le secret de son cœur : « De quel côté suis-je ? »

 

Armand VEILLEUX

 


 

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