22/23 mars 2008 - Vigile pascale
Matthieu 28,1-10


Nos nuits de passage

 

Après une si longue série de lectures je ne serais pas surpris que la plupart d'entre vous vous disiez intérieurement : " pourquoi une homélie en plus ? ". Sans compter que ce pourra être au moins pour certains un moment de repos, je crois qu'elle est nécessaire pour la raison suivante. Chaque fois que nous lisons la Parole de Dieu en privé, si nous ne voulons pas que ce soit un simple rituel ou un geste vide, il faut toujours que nous nous demandions : " Qu'est-ce que Dieu me dit à moi aujourd'hui, à travers ce texte ? ". De même, lorsque nous lisons la Parole de Dieu en communauté, il est nécessaire qu'un serviteur au sein de la communauté s'efforce d'appliquer cette Parole à notre situation collective actuelle.

Nous sommes au coeur d'une célébration qui se situe en pleine nuit - une vraie " vigile ", donc -- au cours du passage des ténèbres à la lumière. Ce passage est une expression symbolique du long passage des ténèbres et du chaos originel du début de la Genèse jusqu'à la lumière du Christ ressuscité le matin de Pâques.

La longue série de lectures de l'Ancien Testament que nous avons entendues nous ont raconté comment le Peuple juif a constamment interprété et réinterprété ce qu'il vivait à la lumière de la révélation qu'il avait reçue de l'entrée de Dieu dans son existence. Tout est perçu en termes de passage des ténèbres à la lumière. Toute cette histoire commence par la séparation de la lumière des ténèbres dans le chaos cosmique initial. Puis il y a le passage du chaos religieux des nombreuses religions anciennes à la lumière de la révélation de Dieu à Israël. Vient ensuite le passage de la captivité d'Égypte à la libération de l'Exode. Un autre passage vient ensuite, beaucoup plus important, le passage du coeur de pierre au coeur de chair animé par l'Esprit. Et finalement le grand passage de Jésus, des ténèbres de la mort à la lumière de la Résurrection.

La mémoire du passé, pris dans sa globalité, était importante pour le peuple d'Israël. Elle donnait sens à son présent et lui permettait d'avancer vers l'avenir avec espérance. Chacune de nos vies est faite aussi de ces moments de ténèbres et de ceux de lumière, de Samedis Saints et de Jours de Pâques. Il est toujours dangereux de s'enfermer dans le moment présent, qu'il soit de ténèbres ou de lumière. Dans un cas on risque le découragement, dans l'autre un enthousiasme béat qui prépare à des catastrophes. Il nous faut vivre chaque moment présent comme une toute petite section de notre histoire personnelle du salut, qui a un passé et un avenir.

Ainsi doit-il en être aussi de l'Église et de la Société. Il semble que l'une et l'autre vivent pour le moment leur Samedi Saint plutôt que leur Jour de Pâques. En réalité, elles sont dans la nuit entre les deux. C'est donc au nom de notre Église et de toute notre Société que nous veillons cette nuit, resituant ce qu'elles vivent - ce que nous vivons en leur sein - dans la cadre plus large et même grandiose de toute cette belle histoire du salut dont les lectures bibliques de cette Eucharistie nous ont tracé les grands traits.

Notre société est entrée dans un cycle infernal de violence dont elle ne semble plus capable de s'échapper. Bien sûr, dira-t-on, il y a toujours eu de la violence entre les hommes. Oui, mais les moyens modernes la rendent toujours plus destructrice et dévastatrice. Les pauvres deviennent toujours plus nombreux et plus pauvres ; les riches s'enrichissent et les puissants semblent triompher. Notre Église a perdu la plupart des appuis culturels et parfois politiques qu'elle avait dans le passé. Elle cherche sa place dans une société ou le non croire semble aller de soi et ou le croire doit se justifier. Elle est aussi dans la vigile entre un après-Vatican II qu'elle n'arrive pas encore à imaginer et un pré-Vatican II auquel certains voudraient retourner comme les Juifs qui, au désert, voulaient retourner en Égypte.

Nous sommes les pèlerins du 8ème jour, nous approchant d'un tombeau vide avec les précieux parfums de nos bonnes volontés, de nos naïvetés et de nos compromis. Le tombeau est vide. Le dieu de tous nos rêves et de toutes nos idéologies n'est pas là et il n'y reviendra pas. Le vrai Dieu nous fait dire par un messager (qui n'a d'ailleurs pas de nom, contrairement à celui qui avait parlé à Marie et à Joseph avant la naissance de Jésus) qu'il nous retrouvera dans notre Galilée, notre vie de tous les jours, dans nos nuits de pêche où nous n'aurons rien pris ou sur nos routes quand nous pensons retourner vers un Emmaüs, un chez nous que nous n'avons plus et n'aurons jamais plus.

Dans un monde où tous, dans la société comme dans l'Église, avons sans cesse la tentation de nous enfermer dans le moment présent qui perd toute signification dans son isolement, cette célébration de la Vigile pascale nous resitue dans une belle et longue histoire. Cette histoire nous ouvre à l'attente. Peut-être vaut-il mieux en-effet ne pas parler trop facilement d'espérance. Si nous pouvons rester ouverts à l'attente de l'aube nouvelle et de la lumière, e sera déjà beaucoup. Dieu transformera lui-même notre attente en espérance, sans que, probablement, nous nous rendions compte nous-mêmes du passage d'une à l'autre avant d'avoir pénétré pleinement dans la lumière.

Armand VEILLEUX





 

 

www.scourmont.be