19 mars 2003 – Solennité de saint Joseph

2 Sam 7, 4-5. 12-14. 16; Rom 4, 13. 16-18. 22; Mat 1, 16. 18-21. 24

 

 

 

Homélie pour la Bénédiction abbatiale de Mère Dominique GRAULICH

abbesse de N. D. de Soleilmont, Belgique

 

 

            Les lectures que nous avons entendues sont celles prévues dans le lectionnaire liturgique pour la solennité de saint Joseph.  Or, elles me semblent très bien convenir pour une bénédiction abbatiale. Elles attirent en effet notre attention sur quelques aspects importants de la charge abbatiale.

 

            Après s'était bâti une belle résidence, David eut l'idée d'en construire également une à Dieu.  Très généreux de sa part!  Alors Dieu lui envoya le prophète Nathan (qui avait cette caractéristique de retrouver toujours David au tournant!).  Dieu fait dire à David qu'il n'a pas besoin de sa maison;  que c'est lui, Dieu, qui établira une maison, c'est-à-dire une descendance, à David.  Il lui donnera un successeur et, dit Dieu, "Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils".

 

            Il y a là un enseignement important pour une abbesse ou un abbé.  La communauté qui nous est confiée est la maison de Dieu; elle lui appartient et non pas à nous.  Dieu en est le père.  L'abbesse est appelée à être "mère" de la communauté; mais cette maternité est une expression de la maternité ou paternité de Dieu sur la communauté.  Jamais un abbé ou une abbesse ne peut parler de "sa" communauté.  Cette communauté ne lui appartient pas elle appartient à Dieu.

 

D'ailleurs, la seconde lecture, dans laquelle saint Paul nous dit qu'Abraham est notre père par la foi, nous rappelle l'expression de saint Benoît qui dit que c'est par un acte de foi (creditur) que l'on peut voir dans l'abbé ou l'abbesse le ou la vicaire du Christ (Christi agere vices) dans le monastère. L'autorité de l'abbesse est de l'ordre de la foi. C'est en acceptant cette vision de foi que l'abbesse devient mère, participant ainsi à la maternité ou paternité de Dieu.

 

            L'Évangile que nous avons lu nous donne quelques bonnes leçons sur la façon d'exercer cette maternité. Le jeune couple, Marie et Joseph, donne un bel exemple de parents qui savent faire  confiance et qui sont en même temps pleins de sollicitude.

 

Ils sont montés à Jérusalem pour la Fête avec leur fils Jésus et beaucoup d'amis.  Le fait qu'ils se soient mis sur le chemin de retour sans savoir avec qui se trouvaient Jésus et qu'ils aient attendu une journée entière avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances montre qu'ils le traitaient comme un  "adulte", même s'il n'avait que 12 ans.  Ils n'étaient pas des parents excessivement inquiets.  Cela ne nous rappelle-t-il pas une phrase du chapitre 64 de la Règle de saint Benoît où celui-ci décrit l'attitude que doit avoir l'abbé.  Il lui demande de ne pas être trop inquiet, sinon il n'aura jamais de repos. 

 

Il y a en effet dans le service abbatial un espace de liberté à laisser.  L'abbé ou l'abbesse doit accepter de ne pas savoir tout ce qui se passe dans la communauté.  S'il ne doit pas essayer d'être au courant de tout, il doit en même temps être attentif aux personnes qui exigent qu'à certains moment on se préoccupe.

 

            Marie sait montrer sa stupéfaction lorsqu'elle trouve Jésus, et dire qu'elle ne comprend pas son attitude : "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela?" Sa première parole n'en est pas une de reproche mais une question : pourquoi ?  Il doit y avoir un motif à une telle attitude de Jésus.  Et puis, elle sait manifester sa propre vulnérabilité et même sa blessure:  "Vois comme nous avons souffert, ton père et moi". 

 

La réponse de Jésus n'est pas très claire, ou plutôt elle est trop claire.  Elle situe bien Jésus par rapport à son père céleste mais ne clarifie pas le rôle de Marie et Joseph.  Ceux-ci ne comprennent pas ce qu'il leur dit.

 

Il arrive, dans la vie d'une communauté que, devant les comportement de telle ou telle personne la supérieure doive avouer qu'elle ne comprend pas. Elle doit savoir exprimer sa souffrance, aussi bien que sa surprise.  Parfois il est possible de se comprendre mutuellement en s'expliquant.  Parfois on doit reconnaître qu'il n'est pas possible de part et d'autre de faire comprendre ce que l'on vit.  Alors il faut retourner ensemble à Nazareth; reprendre la vie de tous les jours en acceptant la part de mystère qui reste.

 

La dernière phrase de notre Évangile a aussi toute son importance : "il leur était soumis".  Si le Fils de Dieu a choisi d'être soumis à Marie et à Joseph, il convient que tous les membres d'une communauté soient soumis, dans une obéissance adulte et éclairée, à la personne qu'ils/elles ont choisie pour être la vicaire du Christ en leur sein.

 

C'est ainsi qu'une communauté peut évoluer dans la sérénité, les rôles de tous étant très clairs,   Tous les membres de la communauté sont des enfants de Dieu réunis pour le servir.  Le Christ est le père de cette communauté réunie en son nom.  Une personne au sein de cette communauté a été choisie pour incarner cette paternité/maternité de Dieu.  L'abbesse sait que les personnes qui lui sont confiées ne sont pas des filles qu'elle s'est engendrée spirituellement, mais des enfants de Dieu en qui, par son enseignement elle doit engendrer le Christ.  D'autre part, la communauté, consciente de la lourde charge qu'elle a confiée à l'abbesse en lui demandant d'incarner en son sein la maternité de Dieu, l'entoure d'amour filial et lui offre une obéissance à la fois adulte et totale.