19 mars 2003 – Solennité de
saint Joseph
Homélie pour la Bénédiction
abbatiale de Mère Dominique GRAULICH
abbesse de N. D. de Soleilmont,
Belgique
Les lectures que nous
avons entendues sont celles prévues dans le lectionnaire liturgique pour la
solennité de saint Joseph. Or, elles
me semblent très bien convenir pour une bénédiction abbatiale. Elles attirent
en effet notre attention sur quelques aspects importants de la charge abbatiale.
Après s'était bâti une
belle résidence, David eut l'idée d'en construire également une à Dieu. Très généreux de sa part! Alors Dieu lui envoya le prophète Nathan (qui
avait cette caractéristique de retrouver toujours David au tournant!). Dieu fait dire à David qu'il n'a pas besoin
de sa maison; que c'est lui, Dieu,
qui établira une maison, c'est-à-dire une descendance, à David. Il lui donnera un successeur et, dit Dieu,
"Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils".
Il y a là un enseignement
important pour une abbesse ou un abbé. La communauté qui nous est confiée est la maison de Dieu; elle lui
appartient et non pas à nous. Dieu
en est le père. L'abbesse est appelée
à être "mère" de la communauté; mais cette maternité est une expression
de la maternité ou paternité de Dieu sur la communauté. Jamais un abbé ou une abbesse ne peut parler
de "sa" communauté. Cette
communauté ne lui appartient pas elle appartient à Dieu.
D'ailleurs, la seconde lecture,
dans laquelle saint Paul nous dit qu'Abraham est notre père par la foi, nous
rappelle l'expression de saint Benoît qui dit que c'est par un acte de foi
(creditur) que l'on peut voir dans l'abbé ou l'abbesse le ou la vicaire
du Christ (Christi agere vices) dans le monastère. L'autorité de l'abbesse
est de l'ordre de la foi. C'est en acceptant cette vision de foi que l'abbesse
devient mère, participant ainsi à la maternité ou paternité de Dieu.
L'Évangile que nous avons
lu nous donne quelques bonnes leçons sur la façon d'exercer cette maternité.
Le jeune couple, Marie et Joseph, donne un bel exemple de parents qui savent
faire confiance et qui sont en même
temps pleins de sollicitude.
Ils sont montés à Jérusalem
pour la Fête avec leur fils Jésus et beaucoup d'amis. Le fait qu'ils se soient mis sur le chemin de retour sans savoir
avec qui se trouvaient Jésus et qu'ils aient attendu une journée entière avant
de le chercher parmi leurs parents et connaissances montre qu'ils le traitaient
comme un "adulte", même
s'il n'avait que 12 ans. Ils n'étaient
pas des parents excessivement inquiets. Cela
ne nous rappelle-t-il pas une phrase du chapitre 64 de la Règle de saint Benoît
où celui-ci décrit l'attitude que doit avoir l'abbé. Il lui demande de ne pas être trop inquiet,
sinon il n'aura jamais de repos.
Il y a en effet dans le service
abbatial un espace de liberté à laisser. L'abbé ou l'abbesse doit accepter de ne pas savoir tout ce qui se
passe dans la communauté. S'il ne
doit pas essayer d'être au courant de tout, il doit en même temps être attentif
aux personnes qui exigent qu'à certains moment on se préoccupe.
Marie sait montrer sa
stupéfaction lorsqu'elle trouve Jésus, et dire qu'elle ne comprend pas son
attitude : "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela?" Sa première
parole n'en est pas une de reproche mais une question : pourquoi ? Il doit y avoir un motif à une telle attitude
de Jésus. Et puis, elle sait manifester
sa propre vulnérabilité et même sa blessure: "Vois comme nous avons souffert, ton père et moi".
La réponse de Jésus n'est pas
très claire, ou plutôt elle est trop claire. Elle situe bien Jésus par rapport à son père céleste mais ne clarifie
pas le rôle de Marie et Joseph. Ceux-ci
ne comprennent pas ce qu'il leur dit.
Il arrive, dans la vie d'une
communauté que, devant les comportement de telle ou telle personne la supérieure
doive avouer qu'elle ne comprend pas. Elle doit savoir exprimer sa souffrance,
aussi bien que sa surprise. Parfois
il est possible de se comprendre mutuellement en s'expliquant. Parfois on doit reconnaître qu'il n'est pas possible de part et d'autre
de faire comprendre ce que l'on vit. Alors
il faut retourner ensemble à Nazareth; reprendre la vie de tous les jours
en acceptant la part de mystère qui reste.
La dernière phrase de notre
Évangile a aussi toute son importance : "il leur était soumis". Si le Fils de Dieu a choisi d'être soumis à
Marie et à Joseph, il convient que tous les membres d'une communauté soient
soumis, dans une obéissance adulte et éclairée, à la personne qu'ils/elles
ont choisie pour être la vicaire du Christ en leur sein.
C'est ainsi qu'une communauté
peut évoluer dans la sérénité, les rôles de tous étant très clairs, Tous les membres de la communauté sont des
enfants de Dieu réunis pour le servir. Le
Christ est le père de cette communauté réunie en son nom. Une personne au sein de cette communauté a
été choisie pour incarner cette paternité/maternité de Dieu. L'abbesse sait que les personnes qui lui sont
confiées ne sont pas des filles qu'elle s'est engendrée spirituellement, mais
des enfants de Dieu en qui, par son enseignement elle doit engendrer le Christ. D'autre part, la communauté, consciente de la lourde charge qu'elle
a confiée à l'abbesse en lui demandant d'incarner en son sein la maternité
de Dieu, l'entoure d'amour filial et lui offre une obéissance à la fois adulte
et totale.