27 septembre 2003 – Dédicace de l’église de Soleilmont

Ez 43, 1-2. 4-7a ;  1 Co 3, 9b-11. 16-17 ; Luc 19, 1-10

(Célébration des deux communautés réunies de Soleilmont et de Scourmont)

 

 

H O M É L I E

 

Chères soeurs et frères,

 

            Une différence importante et intéressante entre les temples hindous ou bouddhistes d’une part et les temples chrétiens d’autre part réside dans l’utilisation de l’espace.  Les premiers sont conçus comme des lieux de résidence de la divinité ou de bouddha.  Les seconds sont conçus comme le lieu de rencontre du peuple de Dieu.  Les premiers, étant des hommages à la divinité, sont souvent finement sculptés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, l’intérieur étant en général presque entièrement rempli de nombreuses statues ou d’une statue géante, avec un espace assez limité réservé au fidèles qui viennent adorer la divinité.  Dans les seconds -- les temples chrétiens -- la majeure partie de l’espace est consacrée au peuple qui vient s’y rassembler pour adorer et prier Dieu en commun.

 

            Une différence semblable se trouve entre le Temple de l’Ancien Testament et celui du Nouveau Testament.  Dans la lecture d’Ézéchiel que nous venons d’entendre, le Temple de Jérusalem est présenté comme le lieu où habite la Gloire du Dieu d’Israël.  Lorsque cette gloire fait irruption dans le Temple, elle occupe tout l’espace : Et voici que la Gloire du Seigneur remplissait la Maison.  Et Dieu dit : « C’est là que j’habiterai, au milieu des fils d’Israël, pour toujours. »

 

            On sait que David, après s’être construit un palais superbe avait décidé dans un moment de ce qu’il concevait sans doute comme de la magnanimité (!) de construire aussi une résidence à Dieu (« Voici que je vis dans un palais de cèdre et que Dieu vit sous la tente !)  Et Dieu lui avait répondu : « Ce n’est pas toi qui me construira une maison ;  c’est moi qui t’en ferai une. »

 

            Il y a quelque chose de semblable dans l’Évangile d’aujourd’hui.  Zachée veut voir Jésus.  Il n’était pas précisément un pieux enfant de choeur.  C’était un collecteur d’impôts, et même le chef des collecteurs d’impôts de Jéricho.  Il était connu dans la ville comme un pécheur.  Il avait cependant un coeur d’enfant et quelque part en ce coeur, il y avait un endroit tendre.  Il savait que Jésus allait passer par sa ville et il voulait tellement le voir, qu’il oublia pour un instant son importance et se mit à courir comme un enfant et grimpa dans un arbre pour le voir.

 

            Que se passa-t-il alors ? – Les rôles furent renversés.  Alors que Zachée voulait voir Jésus, c’est Jésus qui vit Zachée et le regarda avec des yeux pleins d’amour qui le transformèrent.  Jésus leva les yeux vers Zachée dans son sycomore et lui dit : «Zachée, descends vite: aujourd'hui il faut que j'aille demeurer chez toi».  Jésus veut entrer chez Zachée – non seulement dans sa maison, mais dans son coeur et dans sa vie, qui s’en trouve transformée. 

 

            Nous pouvons alors comprendre pourquoi les églises chrétiennes ne sont pas d’abord des maisons de Dieu, mais des maisons du peuple de Dieu.  C’est que Dieu ne veut pas habiter dans des maisons faites de main d’homme, mais dans le coeur de chacun d’entre nous.  C’est aussi ce que dit saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens (2ème lecture d’aujourd’hui) : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ».

 

            C’est parce que le Christ habite en nos coeurs que chaque fois que deux ou trois d’entre nous se réunissent au nom du Seigneur,  il est là au milieu de nous.  Et chaque fois que nous nous réunissons dans l’église de notre monastère pour exprimer dans la prière commune cette communion dans la foi, l’amour et l’espérance, nous sommes Église, nous sommes Peuple de Dieu et Jésus est là, présent au milieu de nous.  C’est d’ailleurs là la première forme de présence réelle du Christ dans l’Église.  Et chaque fois que nous faisons ensemble mémoire de Lui dans la célébration eucharistique, il est là présent dans toute la plénitude de sa présence : deuxième forme de présence réelle.

 

            Ce qui fait que l’espace entre les quatre murs de cet Église est espace sacré et maison de Dieu, c’est ce qui s’y vit – et non l’inverse.  Il est intéressant de relire dans ce contexte ce que dit Benoît de l’oratoire du monastère, qui doit être ce qu’indique son nom et où, en conséquence, on ne fera ou ne mettra rien qui ne soit pas prière ou conduisant à la prière. 

 

            En même temps l’architecture toute sobre, simple et moderne de l’église où nous célébrons en ce moment, nous aide à prendre conscience d’une changement fort radical qui s’est opéré à notre époque – presque sans que nous nous en rendions compte – dans le lien entre la dimension du religieux ou du sacré et la vie de tous les jours.  Au cours des siècles passés, particulièrement au Moyen-Âge, à l’époque où se sont construites nos grandes cathédrales et nos grandes abbatiales et où s’est développée nos grandioses célébrations liturgiques, les gestes symboliques et les objets symboliques que l’on inventait avec une grande créativité avaient une importance très grande. De nos jours, dans la conscience et l’imaginaire collectif l’accent s’est déplacé.  Il est devenu de moins en moins important de créer et même de maintenir des symboles, et de plus en plus important de reconnaître la valeur symbolique – souvent insoupçonnée – de tous nos geste quotidiens, même les plus ordinaires.  Dans ce contexte il est important de reconnaître la valeur hautement symbolique de tout geste de prière, si simple soit-il, et de tout espace où l’on se réunit pour prier ou pour fraterniser, si sobre soit-il.  Une fois reconnue cette dimension symbolique de tout nos gestes, tout symbole ajouté semble souvent artificiel à l’homme et à la femme d’aujourd’hui.  Ainsi, le fait que nos deux communautés monastiques, de moines et de moniales, soient réunies ici, aujourd’hui, pour fraterniser et pour rendre grâce à Dieu de cet espace de prière a, en soi, une valeur symbolique religieuse à laquelle il n’est pas nécessaire d’ajouter quelque autre symbole que ce soit. Ensemble, vivons cette réalité dans l’action de grâce.