2 novembre 2003 – Commémoraison de tous les fidèles défunts

Sg 2, 1...3,9 ; Rm 8, 18-23 ; Lc 12, 35-28.40

 

 

H O M É L I E

 

            Un enfant jouait sur le trottoir devant la maison de ses parents ;  quelqu’un qui passait perdit le contrôle de sa voiture et tua l’enfant.  Que dites-vous à la mère ?  Une jeune femme était pleine de joie à l’idée de donner naissance à son premier enfant ; mais elle meurt durant l’accouchement.  Que dites-vous à son mari ?  Un jeune homme s’était enrôlé dans l’armée de son pays et était parti au loin pour ce qu’il considérait une mission humanitaire.  Il est tué par une mine.  Que dites-vous à sa femme et ses jeunes enfants ?

 

            En réalité il n’y a rien à dire.  Dans la plupart des situations comme celles-ci, seul un silence respectueux convient.  Toute réflexion philosophique ou pieuse sur le sens de la mort serait grotesque, car la mort n’a pas de sens.  La mort est absurde.  C’est la destruction du sens ; l’arrêt brutal de la danse de la vie, la rupture d’un courant vital, l’interruption d’un processus de croissance.

 

            Et qu’auriez-vous dit à la mère du jeune prêcheur qui avait annoncé qu’il apportait la plénitude de la vie, et qui avait manifesté de l’amour et de la compassion à tous et chacun, et qui mourait comme un criminel sur une croix.  Il n’y a vraiment rien que vous auriez pu dire.  La mort, pour lui comme pour tout autre être humain, était une tragédie – une tragédie qui lui avait fait suer des sueurs de sang et l’avait amené à supplier son père qu’il éloigne de lui cette coupe d’amertume.  Devant la mort des autres il avait été mû de compassion ; devant la perspective de sa propre mort il était secoué et il pleurait. Au-delà de la tragédie humaine, il y avait dans sa mort une tragédie divine : l’expérience d’être abandonné de son père : « Père, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 

 

            Le Fils de Dieu s’est fait homme afin de nous révéler, à travers sa propre vie, le sens de la vie humaine.  Il n’a pas simplement fait semblant d’être homme ;  il a assumé toutes nos limites et tous les conflits de l’existence humaine.  Et toute sa vie fut un constant effort de surmonter dans son existence humaine ces conflits et d’en transcender les limites.  En prêchant le Royaume de Dieu, il voulait donner un sens ultime et absolu à toute la vie humaine.  Au nom du Royaume il vécut pour les autres jusqu’à la fin.  À la fin, il fut abandonné de tous, y compris de son Père.  Tout était absurde. Il n’y avait plus de sens.  Il était aux portes du désespoir, sans moyen de revenir en arrière.  Et dans cette situation désespérée, il a marché résolument en avant, conservant toute sa confiance en son Père : « Père, en tes mains je remets mon esprit. »  Le Père ne l’a pas délivré de la mort et n’a pas rendu sa mort moins dépourvue de tout sens du point de vue humain ;  mais il l’a ressuscité des morts.

 

            À travers sa mort et sa résurrection, Jésus nous a révélé que la mort – qui ne cesse jamais d’être une tragédie – n’est pas la fin de tout ;  que même si elle demeure privée de sens, elle ne peut affecter le sens de la vie ;  et qu’il est toujours possible et nécessaire d’espérer, même dans les situations les plus désespérées.  Ce qui lui est arrivé après sa mort, nous a révélé les possibilités et la vocation de la nature humaine ;  et sa résurrection nous a ouvert à tous la porte de la vie éternelle.

 

            La famille humaine est une ;  mais elle est composée, dans le temps présent, de deux grandes communautés, une de chaque côté de la rivière de l’éternité.  Ceux qui ont abordé sur l’autre rive sans l’abandon total au Père qu’avait manifesté Jésus, et sans son espérance sans faille, ont besoin de notre support.  Ils ont besoin du support de notre prière ;  et c’est le but de cette célébration.  Ils ont aussi besoin du support de la qualité de notre vie.  Il n’est pas nécessaire en effet de croire en la réincarnation pour être convaincus que nos morts continuent de vivre en nous ;  et que c’est maintenant en nous et par nous, leurs frères et soeurs en humanité, qu’ils peuvent atteindre à la pureté qui permettra à leurs yeux de chair aussi bien qu’aux yeux de leur coeur d’être totalement pénétrés de la lumière divine.

 

            En leur nom aussi bien qu’au nôtre, unissons-nous au saint homme Job de l’Ancien Testament pour proclamer notre espérance :  « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant, et qu’à la fin il se dressera sur la poussière des morts ;  avec mon corps, je me tiendrai debout, et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. »