Is 9,1-6 ; Tt 2,11-14 ; Lc 2,1-14
Ce bel Évangile de Luc est plein de fraîcheur. Il a inspiré de nombreux artistes à travers les siècles, et surtout
c'est en lui que s'enracine toute l'imagerie qui entoure Noël et qui forme
la trame des souvenirs de nos Noëls d'autrefois. Cette nuit de Noël en est une où l'on se laisse facilement aller à
une certaine nostalgie. Et pourquoi pas? À la condition de ne pas oublier l'austère réalité du monde dans
lequel nous vivons. C'est pourquoi
je vous invite cette nuit à méditer non pas directement sur ce bel Évangile,
si souvent lu et commenté, mais plutôt sur la première lecture que nous avons
entendue, celle d'Isaïe (Is 9,1-6).
En cette nuit où partout
à travers le monde les enfants et leurs parents s'approchent de toutes les
crèches qui représentent celle de Bethléhem où Jésus a été déposé à sa naissance,
il se fait que l'église de la Nativité à Bethléhem, entourée de blindés, ne
sera guère accessible ni aux touristes ni à la population locale. C'est un symbole éloquent de la société où
nous vivons et -- ne l'oublions pas -- que nous formons. Ce n'est pas le doux chant des anges que nous
entendons ces jours-ci, mais les tambours de guerre. La folie guerrière en a enivrés plusieurs et
sur les routes -- ou dans les airs -- nous risquons de rencontrer les convois
d'armes venus d'Occident plutôt que l'or, l'encens et la myrrhe venus d'Orient.
Et pourtant nous ne devons
pas nous laisser écraser ou décourager par ce spectacle. Nous devons plutôt nous laisser envahir de
l'espérance qui jaillit de toutes parts dans le texte d'Isaïe. "Tu as prodigué l'allégresse, tu as
fait grandir la joie... Toutes les chaussures des soldats qui piétinaient
bruyamment le sol, tous les manteaux couverts de sang, les voilà brûlés :
le feu les a dévorés."
Quelle est la source de
notre espérance en ce moment où tant de choses nous portent à désespérer de
l'humanité ? C'est que "un
enfant nous est né, un fils nous a été donné." Ce "nous" de "nous
est né" et "nous a été donné" est très important. Jésus de Nazareth est l'un des nôtres. Il est de notre chair et de notre sang. Il nous montre que l'être humain, s'il est capable du pire est aussi
capable du meilleur. Dans son enthousiasme prophétique Isaïe donne
à cet enfant quatre noms : "Merveilleux Conseiller, Dieu Fort, Père à
jamais et Prince de la Paix."
Puisse ce "Prince
de la Paix" faire de chacun de nous des amants et des agents de la paix, puisse-t-il éteindre tous les conflits petits ou grands dans lesquels
nous pouvons être impliqués dans nos familles, nos communauté, nos communes,
nos pays. Puisse-t-il éteindre la fièvre guerrière dans les veines des dirigeants
des nations. Puisse ce Prince de la
Paix qui est aussi "Merveilleux conseiller" guider les cœurs et
les esprits dans la recherche de solutions à tous les conflits, petits ou
grands, locaux ou mondiaux. Puisse
ce "Dieu fort" donner force et courage aux opprimés et aux laissés
pour compte. Puisse, enfin, ce "Père
à jamais" nous faire comprendre à tous qu'il est notre Père, et qu'il
est aussi le Père des enfants d'Irak et du Koweït, d'Israël et de Palestine,
du Congo et du Rwanda, et que quiconque tue est fratricide. Alors, comme le dit Isaïe, "la paix
sera sans fin". Nous n'en
sommes pas là, hélas! Mais gardons
vive notre espérance. L'Homme-Dieu
nous révèle que l'être humain est capable d'infiniment mieux que ce qu'il
est à n'importe quel moment de son histoire.
Revenons quand même, en
terminant, au récit de Luc. La toute
première révélation de la naissance du Messie est faite non pas aux puissants
et aux sages (qui auront leur tour!) mais à d'humble bergers paissant leurs
troupeaux durant la nuit. Toujours
cet amour préférentiel de Dieu pour les humbles et les petits! Efforçons-nous d'en faire partie.
Armand VEILLEUX