14 juin 2003 -  Abbaye de Soleilmont

Isaïe 43, 1...5;  1Jean, 5,5-13; Jean 4, 5-26

 

Homélie pour la profession solennelle

de soeur Marie de Soleilmont

 

            Dieu s'offre constamment à nous comme la source d'eau vive, qui seule peut satisfaire notre soif profonde, qui seule peut répondre au désir le plus profond de nos coeurs humains.  Il veut venir en nous et y faire sa demeure.  "Si quelqu'un m'aime, dit Jésus, il observera ma parole, mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure".

 

            Pour que Dieu puisse venir en nous, il nous faut aviver notre soif de lui, creuser en nous l'espace du désir, au delà de tous nos besoins.  L'attitude contemplative est une attitude d'ouverture, d'attente, de réceptivité, face à la plénitude d'être qui nous est toujours offerte comme un don gratuit. 

 

            Dans la mémoire du Peuple d'Israël, la période de vie au désert est toujours demeurée le moment privilégié des relations entre Dieu et son Peuple.  Le désert, géographiquement, est en lui-même une rude école.  C'est le lieu où l'on est privé de presque tout ce qui constitue habituellement notre sécurité.  C'est un lieu sans habitations, sans routes, sans nourriture, et surtout sans eau sauf pour un oasis ou un puits ici ou là.  C'est dans cette rude école du désert que Dieu a formé son peuple, le dépouillant de toutes les sécurités humaines et l'habituant à ne mettre sa confiance qu'en lui, son Seigneur.

 

            Le Fils de Dieu s'est fait l'un de nous.  Il a assumé tous nos besoins, il a connu toutes nos soifs.  Le "donne-moi à boire" de l'Évangile d'aujourd'hui annonce déjà le "J'ai soif" de la Passion.  Et cette soif creuse en Lui l'espace qui sera totalement rempli par le désir que la volonté de son Père soit accomplie. 

 

            Dans la tradition monastique, le désert -- à la fois géographique et spirituel -- a toujours été considéré comme l'école du service du Seigneur, comme le lieu où l'on se prépare à la rencontre contemplative avec Dieu.

 

            Le désir, la soif de Dieu, ne peuvent croître en nous que si nous acceptons de limiter la satisfaction de nos besoins.  La rude atmosphère de l'école du désert et de l'ascèse monastique a pour but de dessécher graduellement le feuillage de nos besoins afin que puisse s'épanouir la fleur du désir.

 

            Si nous cessons de satisfaire nos besoins et demandons à Jésus de nous donner lui-même de son Eau vive, cette eau jaillira en nous comme une fontaine de Désir, comme ce gémissement en nous de l'Esprit, dont parle saint Paul dans sa Lettre aux Romains, et qui est prière continuelle.

 

            Dans l'Évangile de Jean, les femmes jouent un rôle capital.  C'est Marthe, par exemple, qui proclame, la première, la foi en la divinité de Jésus -- proclamation réservée à Pierre par les Synoptiques.  Dans l'Évangile d'aujourd'hui, c'est à une Samaritaine, qui n'est sans doute pas un modèle de vie ascétique, mais qui est une personne droite, qui a connu son désert et en qui la satisfaction jamais assouvie des besoins humains a creusé l'espace du désir, que Jésus fait cette révélation si profonde.  Et elle se fait immédiatement l'apôtre de Celui qui l'a amenée à la connaissance d'elle-même et à l'aspiration à la plénitude de vie.

 

            Le texte que nous avons lu n'est qu'une partie du récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine.  Si nous lisons ce texte jusqu'au bout, nous nous rendrons compte que Jésus n'a pas reçu de la femme l'eau qu'il lui demandait. Au début, Il lui demande de l'eau pour étancher sa soif:  "Donne-moi à boire, lui dit-il".  À la fin la femme, sans lui avoir donné à boire, laisse là sa cruche et court au village.   Il y a là une leçon.  Nos besoins créent en nous une ouverture à la relation, et lorsque nous exprimons ces besoins à une personne, nous établissons avec elle une relation.  Cette relation est elle-même plus importante que la satisfaction du besoin.  La relation de Jésus avec la Samaritaine était plus importante pour Lui -- et aussi pour elle -- que le fait de recevoir ou de ne pas recevoir d'eau à boire.

 

            Ainsi en est-il de la prière.  Lorsque nous exprimons à Dieu tous nos besoins, nous établissons une relation entre Lui et nous;  et cette relation est beaucoup plus importante que le fait de recevoir ou non ce que nous lui demandons. 

 

            Le Peuple d'Israël connut un second désert celui d'un long exil de cinquante années en Mésopotamie.  C'est au cours de cet exil que le prophète Isaïe, dans le texte que nous avons eu comme deuxième lecture,  annonce en des mots pleins de tendresse la fin de cet exil. "Ne crains, pas, car je t'ai racheté, je t'ai appelé par ton nom: tu es à moi.  Si tu traverses les eaux je serai avec toi... Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t'aime."

 

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            Chère soeur Marie, en entrant à Soleilmont, tu as choisi une vie au désert -- une vie de renoncement où l'on choisit de laisser inassouvis bien des besoins humains, afin que le désir le plus profond de notre être puisse croître à sa pleine mesure.  Chaque fois que ce désir profond de ton être s'exprimera il se fera prière et une relation s'établira entre toi et Dieu.  Sur ce chemin, les obstacles ne manqueront pas;  mais tu sais déjà par expérience que tu n'es pas seule dans ce désert.  Tu y avances avec une communauté de soeur animées du même désir.  Les moments de difficulté ou même de crise se présenteront sans doute.  Mais chaque fois, lorsque tu diras à Jésus : "J'ai soif", il te conduira aux sources d'eau vive et au fond de ton coeur, dans la foi, tu sauras qu'à toi aussi sont adressées les paroles de Dieu rapportées par Isaïe : "Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix, je t'aime".

 

            Chère soeur Marie, si tu trouves dans ces paroles du Seigneur la force de t'engager pour toujours au service de Dieu dans cette communauté, je t'invite à faire ta profession dans les mains de ton abbesse.