12 octobre
2003 – 28ème Dimanche "B"
Sg
7,7-11; Hé 4,12-13; Mc 10,17-30
H O
M É L I E
La comparaison des
différentes versions de ce récit que nous trouvons dans les trois Évangiles
synoptiques nous montre qu’il a connu une évolution assez complexe qu’il n’est
pas nécessaire d’analyser en ce moment. Retenons simplement que, dans son état actuel, dans l’Évangile de Marc,
le récit comprend deux thèmes qui se trouvent entrelacés : Le thème primitif
concerne l’incrédulité des Juifs et le second se rapporte à la difficulté
d’entrer avec des richesses dans le Royaume de Dieu. Considérons-les séparément.
Nous devons d’abord
nous souvenir de ce que, à ce moment précis dans l’Évangile de Marc, Jésus
rencontre de plus en plus d’incrédulité et d’opposition de la part des Juifs et
qu’il est en route vers Jérusalem où il sera mis à mort, comme il l’a déjà
annoncé à plus d’une reprise. Il faut se
souvenir de cela pour comprendre tout ce que peut signifier son
invitation : « viens et suis-moi ! ».
Le jeune homme de cet
Évangile présente à Jésus une question vraiment importante que porte en son
coeur toute personne humaine : « Comment avoir en héritage la
vie éternelle ? » ou « Comment être sauvé ? » Cependant, il pose mal sa question. Il s’adresse à Jésus en l’appelant « bon
maître », le traitant comme un rabbin entre d’autres. Il veut simplement connaître l’opinion d’un
maître entre d’autres, se réservant le droit de juger si son enseignement lui plaira
ou non – le droit de l’accepter ou de le rejeter.
En lui rappelant qu’il
n’y a que Dieu seul qui est bon, Jésus implique déjà que sa réponse ne sera pas
celle d’une école, mais un commandement divin qui exige une action plutôt
qu’une discussion sans fin.
Jésus rappelle au jeune
homme le noyau central de la Loi. Notons
en passant qu’Il laisse de côté les premiers préceptes du Décalogue se rapportant
à Dieu et ne cite que ceux qui se rapportent au prochain, indiquant ainsi bien
clairement que la vie éternelle qui l’intéresse n’est pas une vie après la mort
que l’on pourrait gagner par les mérites de ses actes, mais bien le « règne
de Dieu » commencé dès ici-bas dans la justice et la charité. Le jeune homme semble un peu piqué par cette
réponse de Jésus et, en bon pharisien, il ajoute : « J’ai fait tout
cela depuis ma jeunesse. » -- J’ai observé toute la Loi. J’ai une bonne conscience. (Dans la version
de Matthieu il ajoute aussi cette question sans doute plutôt rhétorique : « Que
me reste-t-il d’autre à faire ? ») Cette attitude légaliste est fustigée par Jésus qui ajoute :
« Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le
aux pauvres... puis viens et suis-moi ».
À ce moment il devient
évident que les questions du jeune homme n’étaient qu’un paravent. Confronté avec les exigences de la foi, il
admet qu’il ne peut y faire face. Lorsqu’il est invité à laisser de côté ses questions de caractère moral
et légaliste, pour rencontrer et suivre Jésus, il se retire. En définitive, croire et être sauvé signifient
s’attacher à la personne de Jésus... même lorsqu’il marche droit vers sa mort.
À ce premier thème s’en
rattache un second – un thème très cher à Jésus : celui que personne ne
peut s’attacher à Jésus s’il n’est pas détaché de tout autre chose ou
personne. Le jeune homme en question ne
pouvait pas s’attacher à Jésus parce qu’il avait de grandes possessions et ne
pouvait pas se résigner à les abandonner pour suivre Jésus.
La leçon de la première
strate de ce récit est que le salut est un don gratuit de Dieu. Aussi bien le jeune homme qui se présente à
Jésus que les disciples eux-mêmes à la fin du récit demandent : « Qui
peut être sauvé ? » La réponse
de Jésus est que cela est impossible aux hommes – qu’ils soient riches ou
pauvres. Ceux qui peuvent être sauvés
sont ceux que Dieu sauve. Aux hommes,
c’est impossible. À Dieu c’est possible
et il offre toujours ce don à tous.
Cependant, pour
recevoir ce don, on doit créer en soi un vide qui aspire à être comblé. L’historien juif Josèphe raconte comment le
général romain Pompée, après avoir capturé Jérusalem en l’an 63 a.c. se promena
dans le Saint des Saints du Temple, avec ses aides et n’y trouva rien,
absolument rien. C’était la façon juive
de se représenter la nature ineffable de Yahvé. De même, les mystiques ont toujours considéré ce vide ce « nada » (rien) comme une disposition
nécessaire pour être transformé en Dieu, être sauvé.
Jésus répéta ce message
en utilisant de nombreuses figures : « Amen, Amen, je vous le dis, à
moins qu’un grain de froment ne tombe dans la terre et meure, il demeure
seul ; mais s’il meurt il porte
beaucoup de fruit. »
Lorsque Jésus, en route
vers Jérusalem, dit à son aspirant disciple : « viens et
suis-moi », il l’invite à partager ce mystère pascal. Mais cela présuppose le renoncement à toutes
les attaches et à tous les désirs. Il
l’avait mentionné aux autres disciples auparavant : ni or, ni argent, ni
cuivre dans vos ceintures, pas de sac pour la journée, pas de tunique de
rechange, pas de sandales, ni bâton.
Ce récit raconte
l’histoire de l’appel concret d’un homme par Jésus. Celui-ci appelle toujours chacun par son
propre nom. Chacun d’entre nous doit
découvrir ce qu’est exactement son appel personnel. Mais, parce que nous sommes tous appelés au
salut, nous sommes aussi tous appelés à atteindre sous une forme ou une autre
un authentique détachement du coeur.
Armand Veilleux