19 janvier 2003 -- 2ème dimanche ordinaire "B"

1 Samuel 3, 3...19;  1 Co 6, 13...20; Jean 1, 35-42

Jubilé de profession de soeur Henriette à l'Abbaye Notre-Dame de la Paix, Chimay

 

 

Homélie

 

            Il y a exactement cinquante ans aujourd'hui soeur Henriette s'engageait dans la communauté de Chimay par sa profession monastique.  Je ne connais pas les détails de sa vocation, mais je suis sûr qu'elle a vécu quelque chose de semblable à ce qui est arrivé au jeune Samuel, dont la première lecture nous donnait le récit de la vocation.  Après avoir perçu divers appels mystérieux non encore clairement identifiés, un jour tout est devenu clair, et soeur Henriette a dit : "Parle, Seigneur, ta servante écoute." Et ce fut le début d'une longue histoire d'amour qui l'a conduite au monastère et qui dure depuis plus de cinquante ans.

 

            Le prophète Samuel est d'ailleurs considéré comme une figure annonçant d'une certaine façon la vie monastique.  Avec lui apparaît le prophétisme en Israël.  À côté de la monarchie naissante et de l'appui trouvé par le roi dans l'activité cultuelle des prêtres, se manifeste la parole libre et imprévisible du prophète qui se fait la plupart du temps le défenseur des petits et des opprimés.

 

            À l'autre bout de cette longue tradition prophétique se trouve le dernier des prophètes de l'Ancienne Alliance, Jean-Baptiste, qui non seulement reconnaît le Messie mais lui envoie ses propres disciples en leur disant : "Voici l'agneau de Dieu".  Le même mot ('ebed) du dialecte araméen utilisé par Jean-Baptiste, signifiant à la fois "agneau" et "serviteur", Jean fait sans doute référence à la figure messianique du "serviteur de Yahvé".

 

            Le récit de la vocation des deux premiers disciples dans cet Évangile de Jean est d'une très grande fraîcheur.  Si nous voulons lire ce texte avec des "yeux monastiques", nous en trouverons un commentaire dans le chapitre de la Règle de saint Benoît sur la réception des frères.  Les deux premiers disciples viennent à Jésus parce que Jean les a orientés vers lui.  De même nous venons en général au monastère parce que quelqu'un ou quelque chose nous a orienté dans cette direction.  Jésus est d'une très grande discrétion.  Il dit simplement : "Que cherchez-vous?"  De même Benoît demande à la personne responsable des novices de bien s'assurer de ce qu'ils cherchent et de ce qu'ils veulent.  À la question de Jésus : "Que cherchez-vous?" les disciples répondent par une autre question "Où demeures-tu?"  Ils cherchent un lieu où faire leur demeure et quelqu'un avec qui demeurer.  De même lorsqu'on vient au monastère, on cherche un endroit et une communauté où établir notre demeure pour poursuivre ensemble notre recherche de Dieu.

 

            Quel que soit le grand ou le petit nombre de vocations, selon les circonstances et les époques, une communauté monastique n'a pas à lancer des appels ou à faire des campagnes de recherche de vocations.  Elle doit simplement bien faire le discernement de celles ou ceux qui viennent à elle en disant, comme Jésus "que cherchez-vous";  et s'ils(elles) cherchent vraiment Dieu et leur dire "venez et voyez", leur offrant ainsi un lieu où ils puissent trouver la stabilité et s'y engager.

 

            Les disciples passèrent le reste de la journée avec Jésus, mais on ne trouve dans le récit aucune allusion à ce que Jésus peut leur avoir dit.  Cela reste le secret de leur relation intime.  De même tout ce que vit une moniale ou un moine dans sa relation intime avec Dieu tout au long d'une vie monastique de cinquante ans ou plus n'a aucune raison d'être publié sur les toîts.  C'est leur secret.   

 

            De plus, au sein d'une communauté les rôles sont différents.  Les noms de certains sont plus connus.  Ils ont un nom, comme André dans notre récit, et vont vers leurs frères pour dire "Nous avons trouvé le Messie" et les amener là où il habite.  Mais la plupart sont comme l'autre disciple, qui n'est pas identifié par son nom et qui ne le sera jamais, dans tout l'Évangile autrement que par des formules comme "celui que Jésus aimait" (Jean 20, 2.3.4.8) et qui sera avec Marie au pied de la croix.

 

            La vocation de Pierre est également remplie de leçons.  C'est peut-être le type même de la "vocation" la plus normale et la plus ordinaire.  Pierre est amené à Jésus par son frère André.  Il n'y a pas d'invitation de Pierre par Jésus, ni d'appel à le suivre.  Pierre ne s'offre pas lui non plus.  Il ne dit même pas un mot dans toute cette scène.  Par l'imposition d'un nom nouveau il reçoit déjà d'une certaine façon sa mission, mais il ne réagit pas.  C'est un homme prudent, qui reste en suspend et prendra du temps à s'engager pleinement;  mais il sera fidèle jusqu'au bout.

 

            Chacun de nous, que notre cheminement spirituel soit plus proche de celui de Samuel, d'André, de Pierre ou du disciple que Jésus aimait, avons été appelés par Dieu.  En ce jour où nous nous unissons à soeur Henriette pour rendre grâce à Dieu de la fidélité de Dieu à son égard et de sa fidélité à Dieu durant les cinquante dernières années, engageons-nous de nouveau, au fond de nos coeurs à une fidélité toujours renouvelée à notre vocation.