30 mars 2003
-- Quatrième dimanche de Carême "B"
2
Ch 36,14-16.19-23; Ép 2,4-10; Jn 3,14-21
Homélie
Les paroles de Jésus que
nous venons d'entendre sont tirées de sa conversation avec Nicodème. Dans l'Évangile de Jean, le récit de la rencontre
de Jésus avec Nicodème suit immédiatement celui de l'expulsion des vendeurs
du Temple, que nous avons lu dimanche dernier. Par ce geste, Jésus avait nettement pris partie
contre les grands prêtres et les chefs religieux qui gouvernaient le Temple
de Jérusalem, et qui appartenaient au parti des Sadducéens auxquels s'opposaient
de façon constante les Pharisiens, qui niaient leur légitimité. On comprend donc qu'il y avait une dimension politique dans la démarche
de Nicodème. Il voulait mettre ce jeune rabbin, qui commençait
à être populaire, du côté des Pharisiens, contre les Sadducéens. "Nous savons -- dit-il, avec une certaine
obséquiosité -- que tu es un maître qui vient de la part de Dieu".
Jésus ne se laisse pas
si facilement mettre du côté des Pharisiens, pour qui le salut doit se réaliser
à l'intérieur de l'ordre établi par la Loi. Il enseigne à Nicodème que pour être sauvé il faut naître à nouveau,
de l'Esprit. Or, cette nouvelle naissance
ne peut venir que du "Fils de l'Homme", qui seul est descendu du
ciel. Et c'est ici que commence le texte d'Évangile
que nous venons de lire. C'est évidemment
à dessein que l'Évangéliste Jean utilise l'expression "Fils de l'Homme",
présentant le Messie comme le prototype d'une humanité nouvelle. Il enseigne ainsi que ce qui peut sauver les hommes de la mort c'est
fixer leurs yeux sur l'Homme par excellence, c'est-à-dire aspirer à la plénitude
de l'humanité, qui resplendira dans la figure de l'Homme-Dieu, qui deviendra
pour tous les humains le point d'attraction. Sans le dire explicitement, Jean se réfère évidemment à la figure de
Jésus en croix, en qui se réalisera pleinement le plan de Dieu sur l'humanité. La croix est vue ici non en termes de mort
mais d'exaltation glorieuse et salvatrice.
Et Jean de reprendre ici
un thème déjà abordé dans le Prologue de l'Évangile et qui lui est cher :
la lumière est venue dans les ténèbres de l'humanité; certains l'ont reçue,
d'autres l'ont rejetée. Or ce qui
sépare de Dieu ou unit à Dieu ce ne sont pas les doctrines, les théories ou
les idées; ce sont les oeuvres: "Tout homme qui fait le mal déteste
la lumière: il ne vient pas à la lumière,
de peur que ses oeuvres ne lui soient reprochées; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière." Lorsque Jean-Baptiste envoya ses disciples à Jésus pour lui demander
s'il était le Messie, il ne leur transmit pas une doctrine; il leur dit: "allez
rapporter à Jean ce que vous avez vu" -- les oeuvres que je fais.
Dieu a tant aimé le monde,
dit Jésus à Nicodème, qu'il a donné son fils unique pour que tout homme qui
croit en lui aie la vie éternelle, c'est-à-dire une vie en plénitude qui ne
cessera jamais. L'unique façon de
juger de la valeur des idées et théories religieuses, politiques, sociales
ou économiques est de voir dans quelle mesure elles favorisent la vie et dans
quelle mesure elle conduisent à la mort ou sèment la mort -- même si elles
le font au nom d'idéologies à couleur religieuse.
Il est intéressant de
voir que la première lecture choisie pour la messe d'aujourd'hui n'est pas
tirée du Livre des Nombres où se trouve racontée l'histoire du serpent d'airain,
mais bien du second livre des Chroniques. En la lisant on ne peut s'empêcher de faire le lien entre ce qu'a
vécu le Peuple d'Israël au moment de l'exil et le drame qui se déroule ces
jours-ci en Irak, avec la Croix du Christ entre les deux, qui seule nous permet
de ne pas nous laisser sombrer dans la violence, la révolte et la haine.
Babylone est située à
une centaine de kilomètres au sud de Bagdad; et Ur en Chaldée, où vécut d'abord
Abraham avant de quitter son pays, est à mi-chemin entre Bagdad et Basra. Tout cet espace entre le Tigre et l'Euphrate
fut tout au long de l'histoire objet de convoitise et fut soumis à de nombreuses
invasions successives : par l'Assyrie, par les Chaldéens, par les Mèdes et
les Perses, par Alexandre, par les Ottomans, jusqu'au protectorat britannique
et l'invasion actuelle. Nabucodonosor,
roi de Babylone y déporta une partie du peuple juif après sa conquête de Jérusalem.
Par la suite un païen, Cyrus, roi des Perses, après avoir conquis Babylone
à son tour rapatria les Juifs déportés et reconstruisit Jérusalem. Prions pour, qu'une fois de plus, Dieu fasse
sortir le salut du mal et qu'une lumière d'humanité apparaisse pour le pauvre
peuple irakien foulé au pieds et pilonné par les bombes, après des années
d'oppression intérieure et extérieure.