8 décembre 2002 -- 2ème dimanche de l’Avent
« B »
H O M É L I E
Tout au long de l’Ancien
Testament, deux périodes ont profondément marqué l’histoire du Peuple de Dieu. La première fut celle de l’Exode, les quarante ans durant lesquels
le Peuple fut formé par Dieu dans le désert, et celle de l’exil où le Peuple
dut assumer un chemin de conversion pour découvrir la voie du retour à la
Terre Sainte.
Nous pourrions nous demander
à laquelle de ces deux périodes se réfère spirituellement Jean-Baptiste. Mais il sera probablement plus utile et plus opportun, avant de relire
les textes de la messe d’aujourd’hui, de nous demander à laquelle de ces périodes
appartient le monde dans lequel nous vivons actuellement, et à laquelle nous
appartenons chacun de nous personnellement.
Israël avait été libéré
de l’oppression, de la servitude et de l’injustice qu’il avait connues en
Égypte. Cette libération, il en avait
fait l’expérience au Désert. Mais
après quelques siècles d’établissement et d’enracinement dans la terre promise,
les prophètes sont amenés à crier et à protester contre l’oppression, la servitude
et l’injustice au cœur même du Peuple choisi. Et c’est cette situation de péché qui conduisit à l’exil.
L’expérience de l’humanité
toute entière, de nos jours, aussi bien que l’expérience de l’Église, quarante
ans après le Concile, est beaucoup plus une expérience d’exil qu’une expérience
de désert. Il y a aujourd’hui une
partie importante de la population du globe en exil. Que de gens doivent partir pour l’étranger
ou s’exiler à l’intérieur de leur propre pays ! Et combien de personnes se sont auto-exilées de l’espérance, abandonnant
la lutte, renonçant aux rêves et aux utopies ! Les mouvements populaires sont démobilisés,
la société s’est dépolitisée. La « droite »
réactionnaire est presque partout victorieuse. Des psychologues et des théologiens parlent
de « dépression psychosociale ». L’Église elle-même vit une situation
de désert. Les voix des grands théologiens
et des grands spirituels du Temps du Concile se sont éteintes l’une après
l’autre, sans qu’aucune voix de la même force ne se soit manifestée pour couvrir
celle des « metteurs en garde ». Nous n’avons plus de prophètes !
Elle est bienvenue, dès
lors, cette voix du Deuxième Isaïe, cette voix du Temps de l’Exil qui met
dans la bouche de Dieu des Paroles de Consolation. « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu. Parlez au cœur de Jérusalem. »
Que de peuples opprimés par les guerres et par les menaces de guerres ont
besoin aujourd’hui de Consolation.
C’est pourquoi le message
de Jean-Baptiste est toujours autant d’actualité. Son époque était aussi un temps d’exil beaucoup
plus qu’un temps d’exode. C’était,
comme aujourd’hui un temps de violence, d’oppression des pauvres par les riches,
des petits par les grands. L’Évangéliste Marc place son appel à la conversion au début de son
Évangile, dont les premiers mots sont d’une grande solennité : « Commencement
de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ… » Cette bonne nouvelle est d’abord un appel à
la conversion. Et la conversion à
laquelle appelle Jean, n’est pas la simple correction de quelques petites
imperfections ou de comportements purement individuels. Elle a une dimension essentiellement sociale :
Elle est un appel à partager, à faire justice et à la non-violence.
La situation contemporaine
d’exil, de décrochage de démotivation, dont j’ai parlé il y a un instant,
est peut-être due au fait que nous avons trop essayé de transformer directement
les structures de la Société et de l’Église, et nous nous sommes découragés
de la faiblesse des résultats. Le message de Jean-Baptiste est peut-être que, oui, il faut transformer
les structures de la Société et de l’Église, mais que cela ne peut se faire
qu’à travers la transformation des individus, c’est-à-dire à travers notre
conversion personnelle.
Écoutons, en ce jour,
la voix du mangeur de sauterelles et de miel sauvage, prêchant dans le désert
et nous invitant à nous plonger dans la pénitence, pour le pardon de nos péchés.
Armand VEILLEUX