14 septembre
2003 – Fête de la Croix glorieuse
Nb 21, 4-9 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17
H O
M É L I E
Nos missels tendent à
donner à la fête d’aujourd’hui le nom de « Fête de la croix
glorieuse ». C’est sans doute là une
très belle expression ; mais le nom traditionnel de cette fête, qui est
une traduction littérale du nom grec, est celui de « Fête de l’Exaltation
de la Sainte Croix ». Le mot
« exaltation » est admirablement ambigu. Il peut désigner le mouvement consistant à
élever la croix sur laquelle se trouve un condamné (dans l’acte même de la
crucifixion), ou bien le mouvement consistant à élever la croix bien haut, en
signe de triomphe, et pour lui rendre gloire.
On retrouve une
ambiguïté tout aussi forte dans les paroles de Jésus rapportées par Jean :
« lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi ». La Croix est au centre du paradoxe chrétien,
ou plutôt elle en est la fine pointe : la vie vient de la mort, la croix
est élevée pour donner la vie, un crucifié est source de vie. Ce paradoxe est
le signe et l’avant-goût du grand renversement eschatologique des situations
promis par Dieu : ceux qui pleurent se réjouiront, la femme stérile
enfantera, les pauvres règneront, les affamés seront rassasiés et les morts
vivront.
L’hymne christologique
cité par Paul dans le chapitre 2 de sa Lettre aux Philippiens,
que nous avions comme seconde lecture, décrit bien comment l’exaltation suprême
du Christ, dans sa résurrection, est un mouvement ascendant qui suit celui de
sa descente parmi nous, dans son incarnation. Lui, qui était égal à Dieu, il s’est abaissé, il s’est anéanti, il s’est
fait obéissant jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi le Père l’a exalté et lui a donné le nom au-dessus
de tout nom.
Prendre
sa croix, c’est-à-dire accepter de souffrir même lorsqu’on est innocent est une
dimension essentielle de la marche à la suite du Christ. De même en est-il du renoncement à soi-même
et une d’une obéissante imitation du Christ, qui prit sa propre croix par amour
pour nous tous.
Pour être capables
d’accepter la présence de la croix – ou de la souffrance – dans notre vie, tout
comme pour être capables d’aimer et de nous laisser aimer, nous devons vaincre
la peur. Il y a dans l’être humain une
peur innée de la souffrance, tout comme il y a une peur d’aimer et d’être aimé,
en même temps que le désir d’aimer et d’être aimé. En réalité, pour croître, aussi bien humainement que spirituellement, il
nous faut vaincre beaucoup de peurs.
En premier lieu il nous
faut nous défaire des peurs provenant de notre enfance et que nous avons
peut-être traînées avec nous dans notre vie d’adulte – des peurs qui étaient
peut-être fondées lorsque nous étions enfants, mais qui sont désormais tout à
fait irrationnelles. Parmi elles se
trouve la peur de la souffrance, laquelle n’est sans doute jamais agréable,
mais sans laquelle il n’y a pas de vie – pas de naissance et pas de croissance.
Et puis il a toutes les
peurs qui ne nous appartiennent pas, mais qui nous sont transmises :
celles qui hantent des personnes qui nous sont chères et que nous faisons
facilement nôtres ; celles qui sont
transmises par les moyens de communication et qui sont si facilement utilisées
par les politiciens et les démagogues. Nous en savons quelque chose en particulier depuis deux ans ! La date du 11 septembre demeurera le symbole de
toutes nos peurs collectives, si facilement exploitées.
Finalement il y a nos
peurs à nous, celles qui ont un fondement dans nos existences personnelles, qui
sont liées aux blessures du passé ou à l’expérience de nos propres péchés. C’est surtout de celles-ci dont nous avons
besoin d’être libérés – dont nous devons prier Dieu de nous libérer. Être libérés de nos peurs ne signifie pas nécessairement
les faire disparaître, mais empêcher qu’elles ne nous paralysent. Jésus, au Jardin des Oliviers, à l’approche
de sa descente suprême dans la mort, fut saisi d’angoisse au point de produire
des sueurs de sang. C’est dans la pleine
acceptation de la souffrance, malgré l’angoisse et la peur, qu’il a mérité
d’être exalté par son Père dans la gloire éternelle, après avoir été exalté (=
élevé) sur le bois de la croix.
« Lorsque j’aurai
été élevé de terre, j’attirerai tout à moi... » Parmi ceux et celles que
Jésus a attirés à lui, du haut de sa croix, il y a eu Marie, sa mère. (Nous
célébrerons d’ailleurs demain la fête de Notre-Dame des Douleurs). Cette femme qui n’était
certes pas étrangère elle-même à la souffrance et qui jadis avait cuit le pain
quotidien de sa famille, nous a donné son Fils comme pain de vie. L’Eucharistie que nous célébrons chaque jour confère le
pouvoir de la croix du Christ à toutes nos souffrances quotidiennes, petites ou
grandes, comme aux souffrances de l’humanité, et nous permet ainsi de
participer également à son exaltation à la droite du Père, c’est à dire à sa
« croix glorieuse ».