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29 octobre 2017
Chapitre à la Communauté de Scourmont
L’herméneutique de la
réforme dans la continuité.
Lors du dernier Chapitre Général, il
avait été demandé à cinq supérieurs, parmi les plus jeunes de présenter dans
une brève conférence leur vision de l’Ordre pour le 21ème siècle.
Aucun des cinq n’a prétendu être un visionnaire pouvant prédire ce qu’allait
devenir l’Ordre ou la vie monastique au cours du siècle qui vient de commencer.
En général ils nous ont présenté les valeurs fondamentales de la vie
monastique, qui valent pour tous les siècles.
L’une des conférences m’a cependant
surpris et un peu inquiété. L’abbé en question, se référant à l’évolution de l’Ordre
depuis le Concile disait en quelque sorte qu’il ne pouvait pas s’identifier à
cet effort de renouveau, parce qu’il était trop lié à des personnes et à un
contexte particulier et donc – selon lui – « impartageable », et qu’il
était important pour lui de retourner « aux sources ». Je le cite,
afin de ne pas trop le trahir : « Lorsque
je regarde notre héritage, je me sens honnêtement submergé par un paradigme
interprétatif que, souvent, je ne puis m’approprier car il repose, en dernière
analyse, sur une expérience qui fut le propre d’une époque, désormais
impartageable. La dernière génération qui en vivait est en train de disparaître
lentement. Comment nous, membres d’une génération postérieure, pouvons-nous
faire notre propre retour aux sources ? » Ce désir de « retourner
aux sources » en sautant, en quelque sorte, par-dessus une génération (ou
même deux ou trois générations) me semble illusoire, et même un peu
prétentieux. Mais, plus inquiétant
encore, cela consiste à nier en fait la tradition elle-même, qui est toujours transmission de génération en génération, à travers
le vécu, compte tenu des richesses comme des défauts de celui-ci.
La transmission de la foi, et de même
la transmission d’une forme particulière de vie chrétienne, comme la vie
monastique, se fait à travers l’expérience vécue de ceux qui nous précèdent.
Prétendre les ignorer et passer par-dessus eux pour retrouver une tradition
soi-disant objective est illusoire. La « source »
ne peut jamais être atteinte sauf à travers les canaux historiques qui nous
unissent à elle. Cela est une conséquence de l’économie de l’Incarnation. C’est
là quelque chose de très important dans la pensée du pape François. Dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, il
insiste sur la dimension sociale de l’évangélisation, selon laquelle c’est à
travers une culture déterminée évangélisée que se transmet l’Évangile ;
autrement dit, à travers la vie vécue.
Ce qu’il y a d’inquiétant dans l’approche
mentionnée plus haut et qui n’est pas rare dans l’Ordre de nos jours, peut-être
surtout dans les jeunes générations, c’est que c’est là la même attitude qu’on
retrouve chez ceux qui s’opposent à l’approche pastorale du pape François. Ils prétendent parfois en appeler à une
expression de Benoît XVI. Celui-ci, lors d’un discours à la Curie romaine,
durant la première année de son pontificat, distinguait deux interprétation
opposées de Vatican II. Il appelait la première l’herméneutique de la discontinuité à laquelle il opposait l’herméneutique de la réforme dans la
continuité. Les contestataires de
François utilisent en général l’expression « herméneutique de la
continuité », une expression que Benoît XVI n’a jamais utilisée. Ils
utilisent cette expression précisément pour mettre entre parenthèse toute l’évolution
de l’Église depuis Vatican II avec la prétention de revenir à l’Église d’avant
Vatican II.
Notre Ordre a fait, depuis Vatican II,
donc depuis plus d’un demi-siècle, une évolution spirituelle tout à fait dans
la ligne du Concile et dans la ligne de ce que Benoît XVI appelait l’herméneutique
de la réforme dans la continuité. Il serait facile de démontrer comment l’on
retrouve dans toute l’évolution de notre Ordre depuis le Concile, et dans tous nos
documents et statuts, les orientations fondamentales de Vatican II,
spécialement l’insistance constante et omniprésente de la communauté et de la communion. Et je crois que la communauté de Scourmont a
bien vécu cette évolution, parce qu’elle était bien préparée à la vivre.
La communauté de Scourmont a reçu de
Dom Anselme Le Bail et de ses successeurs une claire identité communautaire et
possède une authentique culture monastique. C’est à travers cette culture propre, transformée par la vision
ecclésiale transmise à travers le Concile, que notre communauté continue et
continuera de véhiculer la tradition monastique.
Pourquoi mentionné-je ceci en ce
moment ? C’est que notre communauté
connaîtra dans les prochaines semaines un passage comme toute communauté en vit
périodiquement. Nous aurons à nous élire
un nouvel abbé. Lorsqu’une communauté n’a pas une claire identité monastique
propre, et surtout si elle est récente, tout changement de supérieur marque un
nouveau départ et risque d’être difficile. Au contraire, lorsqu’une communauté est mûre et a une forte identité, le
changement se fait sans heurt et la communauté continue de vivre avec un nouvel
abbé ce qu’elle vivait avec un autre. C’est
d’ailleurs l’une des caractéristiques de notre réforme et de notre renouveau au
sein de notre Ordre, après le Concile : c’est toujours la communauté qui
est première et non ceux qui remplissent divers rôles en son sein.
Prions l’Esprit-Saint, qui est l’âme
de notre communion, de nous accompagner dans ce passage.
Armand
Veilleux
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