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1 octobre 2017
Chapitre à la
Communauté de Scourmont
Une communauté de communautés
Dans le « Récit
du Pèlerin Russe », il y a ce beau passage où il dit qu’un matin la prière
le réveilla. J’ai toujours été impressionné par ce passage qui reflète très
bien toute la tradition ancienne de la prière continuelle. Il m’est revenu à l’esprit
ce matin lorsque je me suis réveillé, une heure avant le temps des Vigiles,
avec, en mon cœur, le verset des Actes des Apôtres : « La communauté
des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme ». Ce passage des Actes a
inspiré, à travers les âges toutes les formes de vie cénobitique, y compris, évidemment
celles des premiers Cisterciens.
Le
Chapitre Général de notre Ordre vient de se terminer. Chaque Chapitre Général
me ramène au premier auquel j’ai participé, celui de 1969, et je suis toujours
ravi de voir une certaine continuité d’esprit et de pensée depuis cette date
lointaine, à travers tous les événements de l’Ordre et tous les textes produits
par les Chapitres successifs : les Constitutions et tous les Statuts qui
les accompagnent.
A l’époque
du Chapitre Général de 1969, tout de suite après Vatican II, deux approches du
renouveau de la spiritualité monastique étaient en présence. D’une part il y
avait une ligne, fort influencée par la spiritualité du « père spirituel »
du désert, reliée aux publications des décennies précédentes sur les
Apophtegmes ou les « Écrits des Pères du Désert », véhiculant
essentiellement la spiritualité érémitique et, d’autre part, la redécouverte de
la grande tradition cénobitique dont dépendait directement la Règle de saint
Benoît et Cîteaux. (On retrouve des mentions de cette tension dans le panégyrique
sur Dom André Louf par Charles Wright, dont on termine la lecture au
réfectoire).
L’une des
tout premières questions qui se posaient au Chapitre de 1969, dans la ligne du
renouveau conciliaire, était celle de la durée de l’abbatiat. Toute une lignée
de la pensée bénédictine issue de la réforme de Dom Guéranger, était pour le maintien
de l’abbatiat à vie, disant qu’on ne change pas de père. En supprimant l’abbatiat à vie, notre Ordre
opta dès lors pour une vision qui se centre sur le bien de la communauté et non
sur la personne de l’abbé. Qu’une
communauté choisisse le régime de « durée non déterminée » ou de « durée
déterminée de six ans » renouvelable, l’idée était qu’un abbatiat doit
durer aussi longtemps – et pas plus longtemps – que ne l’exige le bien de
la communauté. Ce qui est au cœur de
cette approche, c’est la communauté et non la personne de l’abbé, qui est lui-même
au service de la communauté.
À partir
de là, il devient clair que le rôle principal d’un abbé cénobitique est de
tisser le tissu communautaire, c’est-à-dire de voir non seulement à la qualité
de la vie de la communauté, mais aussi à ce que la communauté ait sa propre
identité, sa propre culture. L’abbé peut être un père spirituel pour chacun ou
pour plusieurs de ses moines. Tant mieux
s’il en a le charisme. Mais son premier devoir est d’être le père de la
communauté.
Nos Pères
Cisterciens ont compris l’Ordre comme une communauté de communautés. Lorsque
les abbés se réunissent en Chapitre Général, ils exercent une responsabilité
pastorale collégiale sur l’ensemble des communautés de l’Ordre. Lorsqu’on étudie, au Chapitre Général, les « rapports de
maison » rédigés par chaque communauté, et lorsqu’on doit analyser
certaines situations difficiles, on se rend compte de façon très claire que ce
qui est le plus déterminant est la qualité de la vie communautaire. Lorsqu’une communauté a une longue tradition
de vie monastique, une culture monastique propre et une claire identité, elle
passe facilement à travers les transitions normales de la vie ou même à travers
les crises imprévues. Ainsi, dans une
communauté en santé, le changement de supérieur se fait tout naturellement et
en général en douceur. Lorsque le supérieur que s’était donné la communauté
doit laisser la fonction pour raison d’âge ou pour une autre raison, la
communauté se donne un autre abbé et la vie continue.
Le dernier
Chapitre a accepté plusieurs démissions d’abbés, qui étaient arrivés à l’âge
normal de la démission ou l’avaient dépassé. J’ai quelque fois entendu de la
surprise à l’égard du fait que ce soit le Chapitre Général qui doit accepter ou
refuser les démissions, alors que c’est la communauté qui élit seule et
souverainement son abbé. L’explication
est précisément que l’Ordre est une communauté de communautés autonomes. Chaque
communauté élit librement son abbé. Mais une fois qu’il est élu, il acquiert
une responsabilité à l’égard de l’ensemble de l’Ordre. C’est donc l’Ordre dans son ensemble qui peut
le dégager de cette responsabilité en acceptant sa démission. (Et si sa
démission n’est pas acceptée, il n’a pas le choix – il doit continuer à l’exercer).
Je n’entrerai
pas dans le détail de toutes les situations que nous avons eu à analyser à ce
Chapitre Général, mais il m’est apparu plus clairement que jamais que la façon
dont une communauté vit une telle transition ou une crise de quelque genre que
ce soit, dépend de la qualité de sa vie communautaire et de son enracinement
dans la tradition monastique.
Un certain
nombre de monastères ont été fermés récemment, par manque de vocations.
Certains de ces monastères avaient une grande filiation. Cela exigera une réorganisation des liens de
maison-mère à maison-fille. Ces liens
sont importants. Le rôle du « père immédiat » est non seulement
important dans notre tradition ; mais c’est une figure tout à fait
intéressante dans l’histoire du droit. Le Père Immédiat est quelqu’un qui, à l’égard de ses maisons-filles a une grande responsabilité de vigilance pastorale sans
avoir en pratique de « pouvoir » d’intervention dans la vie interne
de la communauté.
Un mot sur
l’audience avec le pape François. Cette
fois-ci nous avons eu une audience privée ; c’est-à-dire que le pape a
reçu les membres du Chapitre dans une audience réservée à notre groupe, et que
nous n’étions pas simplement présents à une audience générale. Le petit
discours que François nous a fait n’avait rien d’extraordinaire ; il ne
nous a rien dit de surprenant ou d’interpelant. Il nous a simplement redit des vérités essentielles. En revenant de
cette audience je repensais à la parole de Karl Barth qui disait que le fait
que Dieu nous a parlé était immensément plus important que tout ce qu’il nous a
dit. Il y a ici quelque chose de
semblable. Le fait que le pape nous a
reçus, comme groupe, qu’il nous a dit quelques mots et qu’il a salué chacun –
avec une qualité de présence très frappante – était plus important que tous les
discours merveilleux qu’il aurait pu nous tenir. Après cette audience, nous
avons célébré l’Eucharistie entre nous dans la Basilique Saint-Pierre. Notre
lien à l’Église universelle était ainsi exprimé.
En ce qui
concerne Scourmont, vous savez déjà que ma démission, qui avait été refusée en
2012, puis en 2014, a été cette fois acceptée, puisqu’il n’y avait aucune
raison de ne pas l’accepter. Elle sera
effective le 1er novembre. Je
suis donc toujours abbé de Scourmont jusqu’au soir du 1er novembre ! Le Père Immédiat, qui viendra sans doute au
cours des prochaines semaines, ou après le 1er novembre, déterminera
la date de l’élection de mon successeur qui devra avoir lieu, selon les
Constitutions, au plus tôt deux semaines et au plus tard trois mois après le 1er novembre.
Par
ailleurs, le Chapitre Général m’a reconduit pour six ans dans quelques
responsabilités au niveau de l’Ordre, et m’a confié un certain nombre de
missions ponctuelles, que j’exercerai en tant que moine de Scourmont.
Lorsque
quelqu’un me demandait si j’avais préparé la transition, j’ai répondu qu’il y
avait 19 ans que je la préparais. Je crois
que la qualité de notre vie communautaire permettra une transition paisible et
harmonieuse. Prions l’Esprit Saint qui
nous unit.
Armand VEILLEUX
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