20 août 2017, Fête de saint Bernard

Abbaye de Scourmont

 

Saint Bernard, moine

 

 

            Saint Bernard fait partie des saints qui ont été déclarés docteurs de l’Église durant le 19ème siècle. Il a reçu ce titre du pape Pie VIII en 1830. Cependant, si Bernard est important pour nous, moines et moniales, c’est avant tout en tant que moine et abbé, plus qu’en tant que docteur de l’Église. Il a certes joué un rôle important dans l’Église et la Société de son temps ; mais il était avant tout moine, et il l’est demeuré à travers toutes les vicissitudes de sa vie.

 

            Il entra en 1112 dans la communauté de Cîteaux, peu après la fondation de celle-ci en 1098.  Cinq ans plus tard, à l’âge de 27 ans, il était abbé fondateur de Clairvaux et le resta jusqu’à sa mort en 1153, à l’âge de 63 ans. 

 

            Tout en étant moine, il a été un homme de son temps.  L’historien David Knowles l’a décrit comme « un de cette petite classe de grands hommes dont les talents et les dons ont trouvé un contexte tout à fait adapté ».  Durant quarante ans il a fait de son abbaye de Clairvaux le centre spirituel de l’Europe.  L’Ordre cistercien, tout comme la spiritualité de l’Europe occidentale ont été marqués par son influence d’une façon comparable à celle d’Augustin d’Hippone ou d’Anselme de Canterbury. Il passa une grande partie de son temps en dehors de son monastère, pour s’occuper des affaires de l’Église et de l’État, retournant à Clairvaux pour de brèves périodes.  Mais lorsqu’il y était, il était totalement présent.  Et lorsqu’il était à l’extérieur, il demeurait moine à 100%, portant ses frères et ses amis dans sa prière et son affection.

 

            Bernard était un homme unifié – caractéristique essentielle d’un vrai moine.  Pour cette raison il pouvait orienter vers une profonde unité tout ce qu’il touchait.  Homme de Dieu, amoureux de Dieu, il ne séparait jamais son amour de Dieu de l’affection des êtres humains avec qui il vivait ou qu’il rencontrait.  C’est Dieu lui-même qui le renvoyait aux hommes, et c’était l’expérience de sa propre humanité et sa compassion pour les hommes qui stimulait sa prière comme son service.  Il n’y avait en lui aucune fausse dichotomie entre l’amour de Dieu et celui des autres.

 

            Il n’y avait même pas chez lui cette autre dichotomie – si fréquente -- entre action et contemplation.  Pour Bernard, comme pour tous les grands mystiques, la priorité était certainement donnée à la « prière contemplative ».  Mais une fois que cette priorité était solidement établie, Il n’y avait plus aucune quantité ou aucune intensité de service des frères qui puisse mettre en péril cette relation à Dieu.  Bien sûr, Bernard gémit parfois… peut-être plutôt d’une façon rhétorique, au sujet de toute cette activité.  Cependant, sa capacité de maintenir une prière contemplative au sein d’une activité au rythme débordant était évidente.

 

            Si Bernard a fait de Clairvaux le centre de toute l’Église et de toute la Société, c’est qu’il était conscient du fait que Clairvaux n’était qu’une petite partie d’un tout beaucoup plus large.  Il était préoccupé de tout l’Ordre cistercien, de tout l’Ordre monastique et de toute l’Église.  Et cette relation donna à Clairvaux même une vie extraordinaire.  Bernard était également préoccupé de la Société.  Le même amour qu’il avait mis au centre de sa propre vie, il était convaincu que tout être humain devait le vivre également : personnes mariées aussi bien que moines et évêques, rois aussi bien que mendiants.

 

            L’une des paroles bien connues que l’on attribue à Bernard est qu’il se demandait chaque jour : « Bernard, pourquoi es-tu venu ici ? ».  Pour nous également, moines et moniales d’aujourd’hui et de cette abbaye, la question fondamentale demeure toujours la même :  « Pourquoi sommes-nous venus au monastère ? – Pourquoi y sommes-nous restés ? ».  Peut-être pourrions-nous porter cette question dans nos cœurs tout au long de cette journée

 

            Bernard n’est pas le fondateur de Cîteaux, comme le croient facilement les personnes qui connaissent peu l’histoire de l’Ordre. On peut dire qu’avec lui, commence déjà une nouvelle phase de la vie cistercienne. Les documents primitifs de l’Ordre, dont la rédaction définitive – celle qu’on connaît – doit être attribuée aux disciples de Bernard, donne facilement l’idée que la communauté de Cîteaux était sans vitalité et sans avenir avant l’arrivée de Bernard.  Ceci ne correspond pas à la réalité.  En fait, au moment où Bernard et ses compagnons arrivent, deux fondations nouvelles sont déjà décidées et préparées.  La qualité de Bernard comme moine et comme abbé témoigne d’ailleurs de la qualité de la formation qu’il a reçue à Cîteaux. Cependant lui et ses compagnons apportèrent une vitalité nouvelle et aussi une orientation quelque peu différente.

 

            L’intuition monastique des fondateurs de la première génération – qu’on pourrait appeler celle des vieux ascètes – s’inscrivait dans un grand mouvement spirituel de renouveau qui secouait alors l’Église et la Société et qui se caractérisait par un retour à la pauvreté et à l’idéal communautaire de l’Église primitive.  L’intuition monastique de la seconde génération – celle de Bernard et des jeunes chevaliers – s’inscrivait plus dans le grand mouvement de réforme de l’Église appelée réforme grégorienne.  À cause de cela la vie de l’Ordre, jusqu’à nos jours, resta fortement liée structurellement à l’institution ecclésiale et subit, à travers les âges, tous les contrecoups de l’évolution de celle-ci. Nous le sentons particulièrement de nos jours. La crise des vocations que connait l’Ordre, dans presque tous les pays, est une répercussion chez-nous de la crise institutionnelle que vit l’Église universelle.

 

            L’avenir de notre Ordre dépendra de la façon dont il saura entrer résolument et de façon créatrice dans le courant de renouveau fondamental des structures ecclésiales mis en marche par le pape François.

 

 

Armand Veilleux

 


 

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