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Chapitre du 9 juillet 2017
Un
moment de transition
Nous avons
eu vendredi dernier une très intéressante conférence par Alicia Scarcez sur
l’évolution des livres liturgiques durant les premières années de la réforme
cistercienne. Elle nous a expliqué comment Robert et ses compagnons avaient
apporté à Cîteaux une copie des livres liturgiques de la tradition cluniaque
utilisés à Molesme. Étienne Harding fit une première réforme, en faisant copier
les livres liturgiques de Metz, qu’on croyait alors détenir l’authentique
grégorien. Puis Bernard de Clairvaux et
ses moines réalisèrent une nouvelle réforme des livres liturgiques, pour les
adapter davantage à la sensibilité des moines bourgignons. Tout cela en quelques décennies, et pour
répondre à des approches différentes de la tradition cistercienne. (Alicia est
en quelque sorte la « disciple » du Père Chrysogonus Waddell, dont la
connaissance encyclopédique des documents cisterciens primitifs – non seulement
liturgiques -- reste à notre époque inégalée).
On
pourrait dire que le charisme propre de Cîteaux est celui de la
« réforme » et que la réforme cistercienne n’a cessé, à travers les
âges, d’être constamment « réformée » pour répondre à de nouvelles
situations et de nouveaux défis. Il y a déjà un esprit très différent entre les
aspirations des fondateurs de Cîteaux, qu’on pourrait qualifier de génération
des « vieux ascètes », et celles de la génération de Bernard et de
ses compagnons, qu’on pourrait appeler la génération des « jeunes
chevaliers ».
On
célébrait hier la mémoire du bienheureux Eugène III, un disciple de Bernard
devenu abbé de Tre Fontane à Rome, puis élu pape quelques années plus
tard. On voit comment, avec la mouvance
bernardine l’Ordre était déjà entré à fond dans la grande réforme grégorienne,
alors que la première génération cistercienne s’insérait dans un mouvement de
retour à la pauvreté, la simplicité et l’authenticité des origines – un
mouvement en marge de cette grande réforme institutionnelle. Cette aspiration à
la pauvreté et à la simplicité sera reprise ensuite par les Ordres mendiants.
Le fait
que l’Ordre se soit en quelque sorte inféodé à ce grand mouvement de réforme
institutionnelle de l’Église qu’était la réforme grégorienne explique en grande
partie son développement extraordinaire durant les siècles de
« chrétienté ». Mais cela
explique aussi sa grande difficulté actuelle à continuer à se recruter, à une
époque où cette structure institutionnelle du christianisme héritée du Moyen
Âge est en pleine crise, en particulier en Europe et en Amérique.
Nous
lisons actuellement au réfectoire le livre de Danièle Hervieu-Léger sur la
restauration monastique en France, aux 19ème et 20ème siècles. Danièle Hervieu-Léger est une sociologue de profession. Elle ne fait
donc pas simplement raconter l’histoire. Elle analyse l’ancrage de cette épopée monastique dans une large
évolution de l’Église comme institution et de la société civile. Elle pose aussi au monachisme actuel de
sérieuses questions.
Tout cela
constitue le contexte dans lequel nous aurons cette semaine quelques jours de
réflexion, avec Dom Lode d’Orval, sur la transition que doit vivre notre
communauté au cours des prochains mois. Tout le monde sait que notre communauté devra se choisir un nouvel abbé
dans les semaines – tout au plus les quelques mois – qui suivront le Chapitre
Général de septembre. Il serait trop
facile de se limiter à réfléchir sur les candidats éventuels au service
abbatial.
Nous avons
la chance d’avoir à Scourmont une communauté qui a toujours vécu, depuis sa
fondation, en synergie avec l’Ordre, avec l’Église et avec la société civile
dans laquelle elle est insérée. Notre réflexion communautaire sur ce que nous
aurons à vivre comme communauté en ce moment de transition ne peut ignorer les
défis que vivent notre région, la Belgique, l’Occident et l’Église universelle
– et, bien sûr, notre Ordre.
Le pape
François, qui nous met constamment en garde contre le danger de ce qu’il
appelle l’autoréférentialité, nous
appelle à continuer de nous interroger sur la mission qui est nôtre, dans ce
contexte, précisément en tant que moines contemplatifs, c’est-à-dire moines
voués à une vie de prière continuelle.
Demandons
à l’Esprit Saint de nous guider dans cet effort de réflexion sur ce que Dieu
attend de nous, comme communauté, dans ce moment de notre histoire.
Armand VEILLEUX
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