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5 mars 2017
Chapitre à la Communauté
de Scourmont
Tentations
Ce récit
des tentations de Jésus dans le désert, après son baptême, nous est raconté par
les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), mais dans chaque cas
avec des nuances assez différentes, correspondant au message théologique que
chacun des évangélistes veut transmettre. Cette année, nous lisons le récit de Matthieu.
Celui-ci
affirme dès le début et sans ambages que « Jésus... fut conduit au désert par
l’Esprit pour être tenté par le démon ». Le démon est appelé parfois « diable » parfois « Satan », des deux mots
signifiant la même chose, aussi bien en grec qu’en hébreu : l’Adversaire. Dès le début du ministère messianique de
Jésus, l’Esprit qui est descendu sur lui au moment du baptême, met en présence
Jésus et l’Adversaire du genre humain. Le but de l’Esprit en conduisant Jésus au désert est qu’il soit tenté,
confronté avec l’Adversaire, afin de démontrer la force du Messie et sa
victoire sur toutes les tentations.
Les
tentations que rencontre Jésus au désert sont celles qu’il rencontrera tout au
long de sa vie publique, de la part des Pharisiens et des Docteurs de la Loi
aussi bien que de la part du peuple. L’identité de l’adversaire et son projet se révèlent surtout dans la
troisième tentation, qui résume toutes les autres et que Jésus repousse de la
façon la plus radicale. C’est la
tentation du pouvoir.
Il y a une
différence très grande entre autorité et pouvoir. Tout au long de sa vie publique, Jésus a
parlé et agi avec autorité. Il a
toujours refusé le pouvoir. L’affirmation tout à fait radicale et même révolutionnaire des
Évangélistes est que le pouvoir est proprement diabolique. Il n’appartient pas
à Dieu ; il appartient à Satan, à l’Adversaire. Sur ce point, l’Évangile de Luc dit la même chose que celui de Matthieu,
mais d’une façon encore plus claire. Il
fait dire au démon : « Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces
royaumes, parce que c’est à moi qu’il a été remis et que je le donne à qui je
veux. » Jésus ne conteste pas ce pouvoir
de Satan, mais lui répond : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu ». Il ne faut pas oublier que les Évangélistes
écrivaient ces choses au moment où la Palestine était occupée par l’Empire
romain, la super-puissance du temps, qui attribuait à
ses empereurs un pouvoir divin. Le
message des Évangiles est que le pouvoir oppresseur est de sa nature
diabolique.
Alors que
l’autorité crée la communion, le pouvoir isole et rend arrogant et
implacable. Chacune de ces trois
tentations invite Jésus à s’isoler, à ne vivre que pour lui-même comme le font
si naturellement ceux qui détiennent le pouvoir. Le démon invite Jésus à changer les pierres
en pain pour satisfaire sa faim. Jésus
multipliera les pains plus tard, mais ce sera pour nourrir la foule pour qui il
est pris de compassion ; et en appelant ses disciples à partager le peu qu’ils
ont, il enseignera que lorsqu’il y a partage, il y a toujours assez pour
tous. Le démon invite ensuite Jésus à se
jeter du haut du Temple pour utiliser Dieu à son profit, en forçant Dieu à
envoyer ses anges pour arrêter sa chute et montrer de façon éclatante qu’il est
le Messie. Jésus refusera toujours de se
conformer aux aspirations du peuple et des chefs du peuple qui désirent un
Messie puissant, apparaissant dans toute sa gloire. Il acceptera au contraire d’être mis à mort
par les hommes et de faire l’expérience d’être abandonné de son Père. Et c’est par ce complet oubli de lui-même et
l’obéissance jusqu’à la mort qu’il nous a sauvés.
Le désert
où Jésus est conduit n’a pas de nom, contrairement à Jean-Baptiste de qui il
nous est dit qu’il baptisait « dans le désert de Juda ». Le désert où Jésus est tenté est le désert
dans toute sa signification symbolique, rappelant en premier lieu le désert où
le Peuple d’Israël a été tenté et a cédé à la tentation, alors que Jésus sera
vainqueur de l’Adversaire. Ce désert
symbolique est aussi le nôtre où nous sommes constamment nous aussi confrontés
aux tentations de l’Adversaire. Les mêmes tentations nous guettent constamment,
et tout d’abord celle de vouloir utiliser Dieu pour satisfaire notre faim, pour
nous fournir les choses matérielles que nous désirons, pour satisfaire notre vanité. Ce qui est une forme d’athéisme
pratique. Et ne sommes-nous pas souvent
à l’affût de manifestations extraordinaires, d’apparitions et de miracles,
comme si Jésus n’avait pas explicitement refusé de se manifester de cette
façon. Mais, par-dessus tout, la
tentation qui nous guette sans cesse, comme individus ou comme société, est
celle du pouvoir, que nous sommes invités par l’Adversaire à exercer sur notre
propre existence, sur les autres et, finalement, sur Dieu.
Que
l’exemple de Jésus nous éclaire et nous conforte et qu’il fasse régner la paix
dans nos cœurs et dans notre humanité déchirée actuellement par tant de guerres
– toutes engendrées par la soif du pouvoir.
Armand Veilleux
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