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12 février 2017
Abbaye de Scourmont
L’histoire
de Lazare
Dans un
peu plus de deux semaines nous commencerons le carême. Il est peut-être bon de
nous y préparer déjà, d’autant plus que saint Benoît dit que toute la vie du
moine doit être conforme aux exigences du carême.
Comme
chaque année, le pape François a publié un message pour le carême 2017. En
réalité ce message a été publié dès le mois d’octobre dernier – plus précisément
le 18 octobre 2016, en la fête de saint Luc. Et il a ceci de particulier qu’il
consiste dans le commentaire d’un passage de l’Évangile qui est propre à Luc,
et qu’on ne lit pas en carême. Il s’agit de l’histoire du pauvre Lazare et de l’homme
riche, qu’on trouve au chapitre 16 de l’Évangile de Luc, qui n’a pas de
parallèle dans les autres Évangiles, et qu’on lit au 26ème dimanche
de l’année C. Le pape François nous
invite à méditer cette parabole qui, dit-il, « en nous exhortant à une
conversion sincère, nous offre la clé pour comprendre comment agir afin d’atteindre
le vrai bonheur et la vie éternelle ».
Le message
se divise en trois parties : 1) L’autre est un don ; 2) Le péché nous
rend aveugles ; 3) La Parole est un don.
À vrai
dire, cette parabole est étrange. Dieu n’y est même pas mentionné, alors que
d’habitude, dans ses paraboles, Jésus veut nous apprendre qui est son Père et
qu’elle est son attitude à notre égard.
Considérons
un peu les personnages de cette parabole. Il y a un riche et un pauvre. Il
n’est pas dit s’il s’agissait d’un bon ou d’un mauvais riche et d’un bon ou
mauvais pauvre. Non. Tout simplement l’Évangile nous parle d’un
riche bien habillé qui prend des festins somptueux, et d’un pauvre couvert de
plaies qui n’a rien à manger.
Le pauvre aurait bien voulu manger les miettes qui
tombaient de la table du riche, mais il n’est pas dit qu’il l’ait demandé ni
qu’on le lui ait refusé. Ces deux hommes
vivent tout simplement l’un à côté de l’autre et s’ignorent, sans méchanceté et
sans jalousie. La seule note d’intimité
est dans le chien qui vient lécher les plaies du pauvre ! Rien n’est mentionné de
l’attitude religieuse, soit du riche soit du pauvre.
Le riche
n’a pas de nom. Il représente tous ceux
qui se sont laissé aliéner par leur avoir. Il n’est pas méchant, mais tout simplement inconscient, tout au long de
sa vie. Le pauvre a un nom, dont
l’étymologie est ‘el ‘Azar (אלעזר)
et qui veut dire « Dieu secourt ».
Le pape
François s’attache donc, dans la première partie de son message, à nous
exhorter à reconnaître en tous ceux qui sont dans le besoin, le visage du
Christ. « La Parole de Dieu nous aide à ouvrir les yeux pour accueillir la
vie et l’aimer, surtout lorsqu’elle est faible ». Mais pour pouvoir le
faire, dit François, il faut aussi considérer ce que la parabole nous dit du
riche. Celui-ci n’a pas de nom. Il est simplement qualifié de « riche ».
Son opulence se manifeste dans son vêtement. Il est vaniteux et il fait chaque
jour bonne chère. Tout cela le rend aveugle – aveugle sur lui-même, mais aussi
aveugle à la misère de l’autre. Il n’est pas méchant. Tout simplement inconscient.
Et puis,
il y a la dernière partie de cette parabole, qui concerne le don de la Parole.
Le riche, après sa mort, souffre dans la géhenne de feu et s’adresse à Abraham,
qu’il appelle « Père », montrant qu’il fait partie du peuple de Dieu.
Ce détail rend sa vie encore plus contradictoire car, jusqu’à présent, rien n’a
été dit dans la parabole sur sa relation à Dieu. En effet, dans sa vie, il n’y avait pas de
place pour Dieu, puisqu’il était lui-même son propre dieu. Et ce n’est qu’alors,
également, qu’il reconnait Lazare. D’abord il voudrait que Lazare vienne le
soulager avec un peu d’eau fraîche. Puis
il voudrait que Lazare aille prévenir ses frères. Et la réponse d’Abraham est
lapidaire : « Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les
écoutent ». Et, devant l’objection formulée par le riche, Abraham ajoute :
« Du moment qu’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, même si quelqu’un
ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus ».
Ainsi se
manifeste le vrai problème du riche : la racine de ses maux réside dans le
fait de ne pas écouter la Parole de Dieu ; ceci l’a amené à ne plus aimer
Dieu et donc à mépriser son prochain. La
Parole de Dieu est une force vivante, capable de susciter la conversion dans le
cœur des hommes et d’orienter à nouveau la personne vers Dieu. Fermer son cœur au don de Dieu qui nous parle
a pour conséquence la fermeture de notre cœur au don du frère.
Faisons
donc de notre carême un moment particulier d’écoute de la Parole de Dieu. Le
carême est un temps de conversion. Nous ne pouvons pas réaliser nous-mêmes
cette conversion, quels que soient les efforts que nous y mettons. À travers la lectio divina, laissons la Parole de Dieu
nous transformer chaque jour, nous rendre attentifs à sa présence dans une
prière continuelle, et ouvrir nos yeux à sa présence dans tout pauvre, c’est-à-dire
dans toute personne dans le besoin.
Armand VEILLEUX
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