|
|
||
|
|||
Chapitre
pour l’Épiphanie, 2017
La
rencontre de l’Autre
L’imagination
populaire, au cours des siècles, a développé beaucoup de poésie et de folklore
autour de ceux qu’on a appelés les « Rois mages ». En réalité
l’Évangile ne les présente pas comme des rois, ni même comme des personnages
importants, mais comme des personnes mal vues par le judaïsme officiel, aussi
bien en tant qu’étrangers qu’en tant que « mages », c’est-à-dire des
astrologues. Matthieu veut souligner le
fait que les deux premiers groupes – et d’ailleurs les deux seuls – qui
viennent présenter leurs hommages à Jésus n’appartiennent pas aux puissants de la
terre mais sont au contraire des personnes considérées comme marginales :
les bergers et les mages.
On perçoit, dans ce récit symbolique,
la réaction de l’Évangile de Matthieu face à la conscience de leur supériorité
raciale que démontraient les chrétiens d’origine juive de Syrie où fut écrit
cet Évangile. Devant cet orgueil et cet
exclusivisme hérités de l’Ancien Testament, l’Évangile invite à reconnaître le
« roi des juifs » dans un petit enfant nu, déposé dans une mangeoire,
et on le fait reconnaître comme tel non par les puissants aussi bien laïcs que
religieux d’Israël, mais par des « étrangers » venant de loin et
exerçant une profession méprisée, celle d’astrologues.
À notre époque où se généralise à
nouveau – particulièrement en Occident, mais aussi un peu partout dans le monde
-- une méfiance grandissante à l’égard de l’ « étranger »
et de quiconque est « différent », ce récit prend une signification
tout à fait actuelle. Il nous montre que
lorsque nous nous fermons à l’étranger et surtout lorsque nous voulons réduire
le monde aux limites de nos croyances et de nos appartenances, nous reproduisons
aussi bien l’attitude d’Hérode que celle des prêtres et des scribes
d’Israël. Peut-être manquons-nous alors les
nombreuses manifestations de Dieu, les nombreuses Épiphanies qui nous sont
offertes par Dieu.
À la foi en l’universalité du salut
offert par Dieu, s’opposent tous les fondamentalismes. Et la célébration de
l’Épiphanie, cette année, prend sans doute une importance nouvelle, du fait que
l’année qui vient de se terminer a été marquée d’une façon tout à fait
particulière par l’exacerbation de tous les fondamentalismes -- que ce soit le fondamentalisme islamique,
qui ne représente aucunement l’Islam, ou le fondamentalisme d’un christianisme
politique d’extrême droite, qui prétend pouvoir exterminer le mal, et qui n’a
rien de chrétien, ou encore un certain fondamentalisme laïque qui est d’ailleurs
aux antipodes d’une laïcité éclairée.
Le texte évangélique sur
les Mages, très riche en symboles, nous enseigne beaucoup de choses. D'abord, nous devons, comme les Mages,
apprendre à discerner tout ce que Dieu nous dit de Lui-même à travers la nature
et les événements naturels. L'histoire des Rois Mages a nourri l'imagination
toute naïve de notre enfance. Il nous
faut, à l'âge adulte, développer une seconde naïveté qui nous permette de
discerner de temps à autre une étoile qui nous indique la volonté de Dieu sur
nous et avoir le courage de la suivre, même sans savoir où elle nous
conduit. Se laisser emporter dans une
recherche spirituelle, au-delà des supports de la culture humaine et religieuse
environnante a d'ailleurs été la caractéristique commune du monachisme de tous
les âges. De fait, les mages de notre
évangile apparaissent étrangement proches de ces moines itinérants qu'on trouve
à l'époque de Jésus à travers l'Asie et qu'on trouvera dans le christianisme
syriaque de la première génération. (Ce monachisme itinérant qui voulait imiter
Jésus qui n’avait pas où reposer la tête, a d’ailleurs été la première forme de
monachisme chrétien.)
C’est aussi l’occasion de nous
demander où en est notre ouverture à l’autre? Après quelques décennies caractérisées par un
développement considérable du dialogue entre les peuples, les cultures et les
religions, nous assistons actuellement un peu partout en Occident à un
mouvement de recul et de fermeture à l’autre – à l’autre venant d’autres pays
et d’autres cultures, ayant d’autres coutumes et d’autres traditions
religieuses. Un vent de xénophobie est perceptible
un peu partout. Dans ce contexte
l’Évangile nous fait une obligation particulière, en tant que Chrétiens, non
seulement de garder nos cœurs ouverts à la largeur de celui de Dieu, mais aussi
de travailler de façon concrète à maintenir ou à rétablir le dialogue à tous
les niveaux.
L’Église – notre Église – qui avait
cédé durant assez longtemps à la tentation de se replier sur elle-même tout en
se faisant prosélyte, a soudain redécouvert admirablement au moment du Vatican
II, ce que Paul – dans la seconde lecture de la messe d’aujourd’hui -- appelle
le « mystère ». Dans un des grands documents du Concile « Nostra aetate »
l’Église a reconnu l’action de Dieu dans toutes les grandes religions de
l’humanité, appelant à un esprit de fraternité et de dialogue. Plus de cinquante ans après le Concile il est toujours tout aussi important de garder vivante
notre foi en la possibilité et la nécessité d’un dialogue proprement religieux
entre les croyants des diverses religions, c’est-à-dire un dialogue où sans
jamais mettre sa foi entre parenthèses, on se rencontre au niveau de ce qui
est le plus intime à notre vie, notre rencontre de Dieu, au-delà de toutes les
théologies et de tous les systèmes. Et c’est en ce sens que le pape François
nous appelle à aller vers toutes les périphéries.
Il y a un peu plus de 30 ans Jean-Paul
II avait convoqué à Assise des représentants de toutes les grandes religions
pour une Journée de prière en commun et donc de partage de l’expérience
religieuse. À l’occasion du 25ème anniversaire de cet événement Benoît XVI avait convoqué une
réunion semblable, de nouveau à Assise, sur le thème de la Paix. Le pape François ne manque pas les occasions
de manifester la même ouverture à l’autre.
En tant que Cisterciens nous avons la
grâce d’appartenir à un Ordre international ; et notre Abbaye a des
maisons filles sur divers continents. Cela fait que notre communauté de Scourmont est actuellement composée de
moines provenant de plusieurs nationalités et donc de plusieurs cultures. C’est une richesse et une grâce dont nous devons
remercier Dieu.
En regardant les événements quotidiens aussi bien de
l'Église que de la société civile, il est facile de nos jours d'être
pessimistes et même de se laisser déprimer. La vocation de tout chrétien et encore plus celle des personnes qui ont
été appelées à une forme de vie contemplative, est de savoir contempler les
étoiles dans la nuit du monde contemporain, et d'y discerner toutes les
manifestations, toutes les Épiphanies de Dieu.
Armand VEILLEUX
|
|
||
|
|||