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1 janvier 2017
Chapitre à la Communauté
de Scourmont
La
solitude de Marie
Longtemps avant que l’on ne considère
le 1er janvier comme début de l’année civile, l’Église de Rome
célébrait la fête de Marie comme Mère de Dieu, en l’Octave du Jour de Noël. On
voit en ce titre de « Mère de Dieu » toute la sobriété et la justesse
théologique du culte de Marie dans l’Église des premiers siècles. Longtemps
avant que la piété populaire – pas toujours bien éclairée du point de vue
théologique – ne multiplie les titres de Marie, l’Église la célébrait sous le
titre qui fait essentiellement toute sa gloire : elle est Mère de Jésus de
Nazareth qui est le fils de Dieu. Elle
est donc Mère de Dieu. Toute sa gloire lui vient de son Fils, et cette
célébration, qui fut durant très longtemps l’unique fête mariale du calendrier
liturgique, se situe dans la lumière du mystère de l’Incarnation, le jour
octave de la célébration de la naissance de son fils.
Saint Luc, dans le texte d’Évangile que
nous avons lu à Noël, dit que « lorsque
les temps furent accomplis », Marie mit au monde Le Premier-né (si l’on traduit littéralement le texte grec),
c’est-à-dire le Premier-né du Père éternel. De même dans le passage de la Lettre
aux Galates que nous avons comme deuxième lecture ce matin, Paul dit que «
Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ». C’est là l’élément central et essentiel de la
foi chrétienne. Que Jésus de Nazareth
ait été une personne extraordinaire et un prophète qui a profondément marqué
l’histoire, un grand nombre de personnes de toutes les religions ou même sans
religion le reconnaissent. Le propre de
la foi chrétienne est de reconnaître et d’affirmer que lorsque Jésus apparaît, les temps sont accomplis ; l’aspiration
de tous les humains de tous les temps est réalisée ; nous sommes à la fin des
temps. Dieu s’est fait l’un de nous. Une
nouvelle étape commence qui consistera en la graduelle réalisation dans la pâte
humaine de ce qui s’est manifesté en Jésus, né d’une femme, Marie.
Marie est au cœur de ce mystère, comme
ce mystère se vit en son cœur. Le mystère
de Marie que nous célébrons aujourd’hui est celui d’une solitude d’une profondeur inouïe. Alors que Dieu se faisait Homme pour sauver toute l’humanité, Marie a
été absolument, tragiquement seule à l’accueillir, au nom de tous les humains,
en prononçant son « Oui ». Durant ses
neuf mois d’attente, elle a été absolument seule à connaître ce qui se vivait
en elle, même si Élisabeth et Joseph en perçurent quelque chose.
À partir du moment où Jésus est né,
c’est Lui qui est au cœur de l’histoire et de l’attention et non pas sa mère. L’Évangile la mentionnera rarement et de
façon très discrète. Dans la visite des bergers à la crèche, racontée dans
l’Évangile d’aujourd’hui, il est bien dit, au début qu’ils trouvent Marie et
Joseph, avec le nouveau-né couché dans une mangeoire ; mais c’est l’enfant
qu’ils sont venus voir et c’est de lui qu’ils parlent à tout le monde.
Lorsqu’ils repartent, ils laissent Marie à sa solitude et à son secret
incommunicable. Elle vit des événements qui la dépassent infiniment, et il n’y
a personne avec qui elle peut en parler ; sans doute même pas Joseph. Elle ne peut que retenir et méditer ces
paroles et ces événements dans son cœur.
Marie vivra cette solitude, née de sa
mission unique, tout au long de sa vie. Elle en fera l’expérience, par exemple, lors de la présentation de son
Fils au Temple, lorsque Siméon et Anne prophétiseront des choses dont elle
seule peut pressentir – sans comprendre – le sens. Elle garde cela en son
cœur. De nouveau, au même Temple, douze
ans plus tard, lors de la « fugue » de Jésus. Et de nouveau encore lorsque Jésus quittera la maison familiale vers
l’âge de trente ans pour une mission incompréhensible – si incompréhensible
qu’à un moment les membres de sa famille voudront aller le prendre pour le
ramener à la maison, car ils pensent qu’il a perdu la tête. Et que dire du
moment où elle veut le voir et qu’il lui fait dire : « Qui est ma mère ?
» Elle connaîtra cette solitude au pied
du Calvaire et, de nouveau, après la mort de son Fils, au cœur de la communauté
de croyants qui se constitueront en Église. Toujours elle porte tous ces
événements dans son cœur, les repassant et les méditant.
La solitude de Marie donne un sens et
un éclairage à notre propre solitude. Je
ne parle pas de l’isolement physique qui est un aspect du mode de vie
monastique, ni de l’isolement psychologique dans lequel des événements
douloureux peuvent nous retenir un certain temps ou que nous pouvons nous
fabriquer nous-mêmes. Je parle de la solitude au sens le plus vrai et le plus
profond, celle qui se vit dans notre face à face avec Dieu, tout au long de
notre vie consciente. Cette solitude est
faite de tous les instants où nous avons à faire des choix, à choisir entre un
« oui » et un « non » à ce que nous percevons comme un appel, et où nous sommes
absolument seuls à pouvoir et à devoir faire ce choix. Bien sûr, on a pu en parler à d’autres, on a
pu consulter, peut-être se laisser influencer. Mais le moment du choix est toujours un moment de solitude absolue. Personne ne peut le faire pour nous. Ce sont tous les instants où nous recevons
une « mission » -- une mission qui peut d’ailleurs n’être rien de brillant et
rien de glorieux ou de remarquable, mais simplement quelque chose que nous
devons accepter de faire pour être vrais avec nous-mêmes.
Encore une fois, cette solitude n’a
rien à voir avec l’isolement que j’ai mentionné il y a un instant et encore
moins avec l’ennui que l’on peut ressentir lorsqu’on est en manque d’une
compagnie que l’on désirerait. Il s’agit d’une solitude existentielle – la
seule vraie. Sans elle il n’y a pas de vie contemplative ni de vraie rencontre
avec Dieu qui nous engendre sans cesse dans ce silence et cette nuit.
Marie, Mère de Dieu, est la mère de
toutes nos solitudes. Dans la sienne, elle
a engendré son Fils. Puisse-t-elle faire
des nôtres des matrices d’où jaillisse sans cesse une vie nouvelle.
* * *
En ce premier de l’an, il est de
coutume d’implorer les uns sur les autres la bénédiction sur Seigneur. Il n’y a évidemment pas de formule plus belle
pour le faire que celle que le Seigneur lui-même transmet au prêtre Aaron à
travers Moïse, et que j’aimerais prononcer sur chacun de vous :
Que le Seigneur te bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage,
qu’il se penche vers toi !
Que le Seigneur tourne vers toi son visage,
qu’il t’apporte la paix.
Armand
VEILLEUX
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