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20
novembre 2016 – Fête du Christ Roi
Chapitre
à la Communauté de Scourmont
Un
roi qui meurt pour sauver son peuple
La
fête du Christ Roi est toujours une bonne occasion de méditer à nouveau sur le
texte du Prologue de la Règle de saint Benoît qui dit : « À toi s’adressent mes paroles, qui
que tu sois, qui, ayant renoncé à ta volonté propre, pour suivre le Christ
Seigneur, le vrai roi, prends les très fortes et glorieuses armes de
l’obéissance. »
Saint
Benoît parle du Christ Roi, mais l’image qu’il utilise n’est pas celle d’un
maître sévère ayant ses sujets et ses esclaves à ses pieds. C’est celle d’un maître plein de bonté. À vrai dire, Benoît, en bon Romain du 6ème siècle, utilise des images militaires. Le Christ est un roi qui est descendu dans la bataille contre les
puissances des ténèbres. C’est le
Christ, tel qu’il nous est décrit dans la Lettre aux Philippiens. Il s’est humilié, anéanti ; il s’est
fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. Il a renoncé à revendiquer son égalité à
Dieu. Il a renoncé à ses droits et
privilèges, pour adopter cette forme ultime et parfaite de l’amour qu’est
l’obéissance. Et c’est pour cela que le
Père l’a gratifié et lui a donné le nom de Seigneur (Kyrios). Il trône sur la croix et il revient dans sa
gloire à la fin des temps.
La
célébration liturgique du Christ Roi fut instaurée en 1925 par Pie XI, qui
l’avait assignée au dernier dimanche d’octobre. C’était l’époque où l’Église,
qui boudait encore les républiques récemment établies dans le monde occidental,
conservait une certaine nostalgie des monarchies en voie de disparition.
(C’était d’ailleurs l’époque où certains, comme l’avait fait Dom Guéranger à la
fin du 19ème siècle, affirmaient que l’Église était une monarchie). La
réforme du calendrier après Vatican II a transféré cette solennité au dernier
dimanche de l’année liturgique, lui donnant ainsi un caractère plus
eschatologique (et moins politique).
Au
troisième nocturne ce matin, nous avions une belle homélie de saint
Jean-Chrysostome où il affirmait que c’est le propre du roi de mourir pour son
peuple. Dans l’antiquité la royauté apparaît lorsque des groupes humains, des
tribus, des nations demandent à quelqu’un de fort, courageux et entreprenant,
de se mettre à leur tête pour organiser leur vie collective et en particulier
leur défense contre les attaques de leurs ennemis. Le roi est donc normalement
le premier sur la ligne de combat dans les batailles et le plus exposé. Il
s’agit tout d’abord d’un service – qui, malheureusement, se transforme
facilement en pouvoir sur son propre peuple et parfois en asservissement.
Dans
la littérature monastique pachômienne il y a un petit ouvrage appelé le Liber
Orsiesii, qui est l’œuvre de Horsièse, le deuxième successeur de saint
Pachôme à la tête de la Koinonia ou Congrégation pachômienne. Or l’un
des points centraux de ce document est de mettre en garde les supérieurs et
tous ceux qui ont des responsabilités dans la communauté de profiter de leurs
fonctions pour se donner des privilèges ou se procurer des satisfactions que
les autres membres de la communauté n’ont pas. Rien n’est plus opposé à l’esprit du Christ, comme nous le rappelle
l’évangile d’aujourd’hui, dans le récit de la crucifixion selon saint Luc.
Dans
cette scène, alors que le peuple reste là, silencieux à regarder le Christ
crucifié, tous les autres se déchainent et, finalement disent la même
chose. Les chefs du peuple juif ricanent
et disent : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même ».
Les soldats se moquent de lui et disent : « Si tu es le roi des
Juifs, sauve-toi toi-même » Et même le premier des deux larrons lui
dit : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même ».
« Sauve-toi
toi-même » répètent-ils tous. Comme
si Jésus était venu pour se sauver lui-même et non pour sauver tous ceux qui
étaient perdus. On l’invite à montrer sa
puissance en descendant de la croix. Mais il est justement monté sur la croix pour manifester sa faiblesse –
notre faiblesse, qu’il avait assumée. Ils sont tous trop conscients de leur pouvoir et de leur valeur
personnelle pour se rendre compte qu’ils ont besoin d’être sauvés. Ils ne peuvent imaginer rien d’autre qu’un
roi plein de pouvoir et de puissance, alors que la fonction première du roi que
Dieu avait donné au Peuple à l’époque de Samuel était de défendre les pauvres,
les petits, la veuve et l’orphelin, de faire justice aux faibles et aux
opprimés.
À
notre époque où l’Église après avoir été dépouillée de son pouvoir a perdu
aussi même sa crédibilité auprès d’une grande partie de la population, elle
serait bien mal venue de faire de la fête du Christ Roi une occasion de
triomphalisme. Elle doit plutôt voir son
modèle dans le roi qui meurt sur la croix, non pas pour se sauver lui-même,
mais pour sauver son peuple, comme le pasteur qui risque et donne sa vie pour
ses brebis. Le pape François, dans une interview donnée il y a quelques jours
au journal italien Avvenire, disait
que l’Église n’est pas un club de football à la recherche de fans.
Le
bon larron demande à Jésus de se souvenir de lui « Souviens-toi de moi
quand tu viendras établir ton règne ». C’est le souvenir qui
relie au Christ les croyants de tous les temps, c’est-à-dire ceux qui se
souviennent de lui et de la recommandation qu’il leur a faite :
« Faites ceci en souvenir de moi ». Mais c’est aussi, et avant tout, le souvenir que Lui, Jésus, a de tous
les siens, qui les relie à Lui. « Souviens-toi de moi » dit ce larron
qui n’avait évidemment pas entendu la recommandation de Jésus à la dernière
cène, mais qui savait peut-être ce que Jésus avait dit de la femme qui lui
avait arrosé les pieds de parfum, les avait arrosés de ses larmes et essuyés de
ses cheveux : « Partout où cet évangile sera annoncé, avait-il dit,
on rapportera ces faits en mémoire d’elle ».
C’est ce souvenir que Jésus a de nous
qui établit un pont entre l’éternité et notre vie d’ici-bas. Le royaume éternel
de Dieu est alors instauré dans le moment présent : « Aujourd’hui,
avec moi, tu seras dans le Paradis. »
Notre vie, qui se veut une vie de
prière continuelle, c’est-à-dire une vie en présence de Dieu, s’efforce de
conserver présent en nos coeurs le souvenir de Jésus. Mais cela n’est possible
que parce que Jésus se souvient lui-même de nous. Il est notre roi parce qu’il
a donné sa vie pour nous défendre et nous racheter. Efforçons-nous de faire de
même les uns pour les autres.
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