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Le 18 septembre 2016
Chapitre de Scourmont
Notre
Ordre et la notion de collégialité
Je
voudrais terminer aujourd’hui cette petite série de chapitres sur la façon dont
notre Ordre a reçu et appliqué l’enseignement et surtout l’esprit de Vatican II.
Et je le ferai en revenant sur la notion de collégialité. Sur ce point aussi il me semble que notre
Ordre a perçu très tôt l’importance d’intuitions du Concile qui n’ont été
développées de façon explicite et claire qu’une cinquantaine d’années plus tard
sous le pontificat du pape François. L’une
de ces notions est celle de la collégialité, ou comme l’on préfère dire de nos
jours, la « synodalité ».
Comme je l’ai
déjà expliqué de diverses façons, l’évolution de notre Ordre dans les années
qui ont précédé le Concile et durant celui-ci a fait que nous avons été appelés
à réfléchir sur le sens d’appartenir à un Ordre. Au moment où tous les moines
et toutes les moniales de l’Ordre étaient appelés à réfléchir au sein de
chacune de leurs communautés, puis au sein des Conférences Régionales et au
sein des Chapitres Généraux, sur le renouveau spirituel et institutionnel
demandé par le Concile, la réaction de plusieurs étaient : « Je suis
entré ici, dans ma communauté, pour y vivre ma vie de prière dans la paix et la
tranquillité. Je n’ai rien à voir avec
ce qui se passe dans les autres communautés, les autres régions, au Chapitre
Général. » Et pour certains toutes ces réunions étaient du temps
perdu. Mais pour beaucoup d’autres, dans
l’Ordre, il y avait dans cette situation nouvelle un appel de l’Esprit qui nous
reconnectait avec l’esprit de la Charte de Charité.
Au 12ème siècle nos Pères avaient été prophétiques en trouvant comment harmoniser l’autonomie
et la qualité de vie de chaque communauté locale avec l’enrichissement qu’apportait
l’appartenance à une grande communauté de communautés. Soudain, dans toutes les communautés où l’on
avait vécu au moins un peu en communion avec ce qui se passait dans l’Église
universelle au moment du Concile, se posait la nécessité de comprendre notre
vie monastique individuelle et locale comme faisant partie d’un tout plus grand
qui était la vie de l’Église universelle, de tout le Peuple de Dieu. Et l’intermédiaire
entre la communauté locale et l’Église universelle était l’Ordre, ou la réunion
de toutes les communautés locales en une grande communauté appelé l’Ordre.
Le Concile
nous appelait non seulement à un approfondissement de notre vie spirituelle,
mais nous appelait aussi, comme tous les autres instituts religieux à revoir
nos structures, nos constitutions, notre législation dans ce même esprit. L’Unification
de nos communautés (par la suppression de la distinction entre deux catégories
de moines -- choristes et convers -- au sein de chaque communauté) posait
de façon nouvelle la question de la communion et de l’unité ; le fait que
l’Ordre était devenu rapidement beaucoup plus international ; la nécessité
de mieux intégrer les moniales au sein des structures de l’Ordre… etc. Tout cela amena quelques personnes dans l’Ordre
à utiliser la notion de « collégialité » comme une sorte d’idée
maîtresse pouvant nous permettre de faire une nouvelle synthèse.
Cela amena à beaucoup de discussions au sein de l’Ordre. On
pourrait écrire tout un livre sur les échanges entre tenants et opposants de
cette notion, et aussi entre régions ne partageant pas toujours la même
sensibilité ecclésiale. En fait, il serait nécessaire d’écrire ce livre ou en
tout cas de revenir sur toute cette période, car il est clair que l’intuition
fondamentale était celle à laquelle nous rappelle aujourd’hui le pape
François.
Plusieurs
membres de l’Ordre – et non des moins influents – disaient « la
collégialité, c’est une affaire épiscopale ; c’est une façon de comprendre
la responsabilité des évêques avec l’autorité du pape ; cela n’a rien à
voir avec notre Ordre ». Mais d’autres
percevaient, intuitivement du moins, qu’il s’agissait là de quelque chose de
beaucoup plus profond, qui s’enracinait dans la vision conciliaire de l’Église
comme « peuple de Dieu ». Lorsqu’on parlait de collégialité on ne soulignait pas simplement la
responsabilité collégiale de tous les supérieurs de l’Ordre sur l’ensemble de l’Ordre
mais aussi, et plus profondément, la responsabilité de chaque moine et de
chaque moniale de concourir par la qualité de sa vie personnelle et de sa vie
communautaire à la qualité de la vie monastique de l’ensemble de l’Ordre. Cela est clairement exprimé dans les premiers
paragraphes du Statut sur la Visite Régulière qui voit celle-ci comme un
exercice de collégialité, dans ce sens.
Or, cela
correspond exactement à la notion tout à fait renouvelée de collégialité (ou
synodalité) présentée par le pape François à l’occasion du cinquantième
anniversaire du premier Synode de l’Église universelle depuis le Concile. Sur la base de sa théologie qui est celle du
Peuple « fidèle » (infaillible in credendo), il voit la collégialité tout d’abord
comme une responsabilité et une grâce de l’ensemble du peuple de Dieu, avant
même de parler de l’exercice de cette collégialité par les évêques et le pape.
Pour notre
Ordre, je crois que cette vision du pape François nous permet de comprendre
dans une synthèse globale toute l’évolution de l’Ordre, sous la conduite de l’Esprit
Saint, depuis l’introduction de la notion de « pluralisme »
permettant à chaque moine et à chaque communauté d’apporter sa note spécifique
dans la grande communion au sein de chaque communauté et de tout l’Ordre ---
depuis la conception de l’Ordre comme un Ordre unique composé de monastères de
moines et de moniales, exprimant périodiquement leur communion dans un exercice
de collégialité où tous les membres de l’Ordre, à travers les supérieurs qu’ils
ont élus, participent à un exercice de discernement collégial au sein d’un
Chapitre Général unique.
Cette
synergie entre la vie de notre Ordre et celle de l’Église depuis Vatican II
doit être pour nous une source de confiance en l’avenir et d’espérance même
lorsque la plupart de nos communautés font l’expérience de la fragilité, qui
est elle-même une dimension essentielle de l’existence chrétienne.
Armand VEILLEUX
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