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Le 11 septembre 2016
Chapitre de Scourmont
Redécouverte
de la famille cistercienne
Au cours
des deux derniers chapitres dominicaux, j’ai parlé de la façon dont notre Ordre
s’était efforcé d’intégrer dans sa vie, ses structures et sa législation
l’esprit et les enseignements de Vatican II. À la fin du dernier chapitre, je mentionnais ce qu’on pourrait appeler
la « redécouverte » de la notion de famille cistercienne.
De la
petite communauté fondée dans le « désert » de Cîteaux il y a un peu
plus de 900 ans, est né un grand Ordre qui s’est répandu à travers toute
l’Europe d’abord, puis, à une époque plus récente, sur les autres continents.
Comme pour toute institution humaine, il y a eu des périodes de grands
développements et des périodes de crise, en général provoquées par la situation
de l’Église et de la Société. Il y a eu des périodes de décadence et des
périodes de réforme. À une époque, sont
apparues les Congrégations, qui peuvent être vues comme l’effet de soubresauts
de caractère nationaliste ou des ruptures de l’unité, mais qui peuvent aussi être
vues comme des sursauts de vie nouvelle. À des époques où le grand corps de l’Ordre n’avait plus la vitalité
nécessaire pour opérer les réformes spirituelles nécessaires, les
Congrégations, ou en tout cas certaines d’entre elles, ont été des foyers de
réforme – d’abord locale – qui s’est répandue ensuite à tout le corps.
C’est
ainsi qu’à une période se développèrent des « observances »
différentes, la « commune observance » et la « stricte
observance ». Sans entrer dans les détails de cette histoire complexe, on
peut dire que, depuis la fin du 19ème siècle, le grand tronc
cistercien est divisé en deux grandes branches : La Commune Observance et
la Stricte Observance. Sans compter que
certains monastères, sans être rattachés juridiquement à l’une ou l’autre, ont
continué de poursuive leur vie selon le charisme cistercien et se sont parfois
regroupés en « Ordres » ou « Congrégations » juridiquement
autonomes.
Il y a eu
la situation particulière des nombreux monastères de moniales espagnoles qui
furent séparées de la juridiction de l’Ordre et mises sous l’autorité des
évêques des diocèses où elles se trouvaient. Vers le milieu du 20ième siècle, le Saint Siège les invita à
se regrouper en fédérations et à se rattacher spirituellement et même
juridiquement à une des grandes branches de l’Ordre cistercien. Il y eut alors des querelles épiques entre les
Ordres et entre les abbés généraux pour déterminer à quel Ordre
« appartenaient » ces moniales !
Au cours
des années ’50 et ’60, un certain nombre de ces monastères de moniales
espagnoles furent incorporées à notre Ordre, l’un après l’autre. Il y avait par
ailleurs un groupe important de moniales espagnoles qui appartenaient à la
Fédération de Las Huelgas et qui étaient
spirituellement rattachées à notre Ordre depuis 1898 et qui, un peu avant le
Chapitre Général de 1990 demandèrent à devenir pleinement des monastères de
notre Ordre. Il y avait une réelle réticence
dans notre Ordre à incorporer d’un seul coup 36 monastères espagnols de
moniales.
Le
Chapitre Général de 1990 vota quand même l’établissement d’un lien juridique
resserrant la communion entre notre Ordre et la Fédération de Las Huelgas (vote 15). En tant que Procureur Général, j’eux à
négocier l’application de cette décision avec la Congrégation des
Religieux. La solution trouvée fut que
la Fédération de Las Huelgas se transforme en Congrégation monastique autonome et qu’un
lieu juridique soit établi entre cette Congrégation et notre Ordre. Cela ne se
fit pas sans quelques difficultés avec l’Abbé Général de l’Ordre Cistercien,
Dom Polycarp Zakar. C’est dans ce contexte que j’étudiai le texte de la Lettre Apostolique Non Mediocri du pape Léon XIII de 1902.
Le
contexte de cette Lettre était le suivant : À la suite du Chapitre d’Union
de 1892 et la création de notre Ordre, les Cisterciens de la Commune Observance
prétendaient que les Trappistes avaient quitté l’Ordre cistercien en se
constituant en ordre distinct et ne pouvaient plus être appelés « Cisterciens ». Dom Sébastien Wyart présenta des doléances à ce sujet au pape, qui publia cette Lettre (Non Mediocri) le
30 juillet 1902, dans laquelle il rappellait qu’aussi
bien les moines de la Stricte Observance que ceux de la Commune Observance
appartenaient à la même famille cistercienne, avec les même droits et les mêmes
privilèges. L’expression « famille cistercienne » revient
plusieurs fois dans ce texte. D’ailleurs
Dom Wyart avait lui-même utilisé l’expression même
avant le Chapitre d’Union de 1892 qu’il envisageait comme un premier pas vers « la
réunion de toute la famille cistercienne ». Nous avons donc commencé à
utiliser de nouveau cette expression après les événements autour de Las Huelgas. Elle fut
consacrée par Jean-Paul II en 1998.
À l’approche
du neuvième centenaire de la fondation de Cîteaux, je fus approché par le
secrétaire de la section francophone de la Secrétairerie d’État, qui me dit que
le Pape avait l’intention d’écrire une Lettre à l’abbé de Cîteaux à cette
occasion. Le pape avait décliné l’invitation que Dom Olivier lui avait faite de
venir à Cîteaux, mais il voulait bien écrire une lettre à l’abbé de Cîteaux. Je
lui fis remarquer que 1998 était le 9ème centenaire non seulement de
l’abbaye de Cîteaux, mais du charisme cistercien et que l’Abbé Général de la
Commune Observance serait blessé si le Pape écrivait une lettre simplement à l’abbé
de Cîteaux. Le monsignore de la Secrétairerie d’État proposa donc que la lettre
pourrait être adressée aux deux Abbés Généraux… mais alors cela laissait encore
de côté les Bernardines d’Esquermes, celles d’Oudenaarde et d’autres monastères
cisterciens n’appartenant à aucun de ces deux grands Ordres. Finalement je suggérai que la lettre soit
adressée à la « Famille cistercienne », ce qui fut fait. La Lettre
fut lue lors de la Synaxe cistercienne à Cîteaux en
1998. Depuis lors il est devenu courant de parler de la « Famille
cistercienne » ; et depuis que le Chapitre Général de notre Ordre a
reconnu dans les groupes de Laïcs Cisterciens une authentique expression du
charisme cisterciens, on considère qu’ils font, eux aussi, partie de la « famille
cistercienne », comme le faisait d’ailleurs Jean-Paul II lui-même dans sa
lettre.
Armand Veilleux
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