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Le 17 juillet 2016
Chapitre à la communauté de Scourmont
Que faire de la violence qui
nous habite ?
La ville française de
Nice a été frappée il y a quelques jours par une scène d’une très grande
violence. Plusieurs aspects de cette scène avaient quelque chose de particulièrement
repoussant. D’abord, la date choisie : le jour de la fête nationale des
Français ; puis le fait que cette violence s’est abattue sur une foule en
fête comprenant beaucoup d’enfants ; enfin l’utilisation non pas d’armes
sophistiquées ou d’explosifs préparés par un artificiel expert, mais simplement
l’utilisation d’un instrument ordinaire de travail, à savoir un gros camion de
transport et de livraison.
Et puis cet événement
violent s’ajoutait à une longue série d’autres violences ayant frappé Paris, puis
Bruxelles et bien d’autres villes. Quelques jours auparavant il y avait eu des
violences raciales aux Etats-Unis et dans les jours suivants il y eut une
tentative de coup d’état militaire en Turquie. Chaque fois, un grand nombre de victimes ; et presque dans tous les
cas des victimes civiles innocentes.
Nous sommes portés à nous
demander : pourquoi tant de violence ? Mais les lectures de l’Ancien
Testament que nous avons à l’Office divin nous rappellent que ce n’est pas là une
situation nouvelle pour l’humanité. Depuis le meurtre d’Abel par son frère Caïn, jusqu’à la conquête de
Canaan, en passant par l’extermination des armées de Pharaon dans la Mer Rouge
et les chants guerriers qui en accompagnent les récits – que de violence !
(On comprend que saint Benoît, dans sa Règle, demande de ne pas lire cette
partie de l’Écriture avant d’aller se coucher !)
De nombreuses études
sociologiques ou philosophiques ont démontré comment la violence est quelque
chose d’inné à l’être humain – quelque chose que nous portons tous en nous. Toutes les
religions anciennes, y compris le judaïsme de l’Ancien Testament se sont efforcées
d’apprendre à gérer cette violence. Toutes connaissaient les sacrifices. J’ai
parlé, il n’y a pas si longtemps des études de René Girard sur La violence
et le sacré. Dans ces sacrifices,
l’homme pouvait projeter hors de lui-même, sur une victime qu’il sacrifiait, la
violence qui l’habitait pour s’en libérer – au moins provisoirement – et
l’exorciser. Cela lui procurait un minimum
de paix intérieure et rendait possible des liens sociaux acceptables au moins
avec le clan et la famille.
Pour nous, moines chrétiens, la seule
chose qui peut nous guider dans notre réaction face à la violence dont nous
sommes témoins dans la société, ou face aux « petites violences »
dont nous pouvons être l’objet (ou penser être l’objet) dans la vie de tous les
jours, -- et, bien sûr, face à la violence que nous portons en nous, c’est le
message et la vie de Jésus de Nazareth. Il a dit : « Bienheureux les doux ». Mais il a dit aussi « Bienheureux ceux
qui sont assoiffés de justice ». Il
s’est laissé flageller sans rien dire, mais il a pris un fouet pour chasser les
vendeurs du temple. Il a parlé avec douceur
et bonté aux pécheurs mais il a utilisé parfois à l’égard des Pharisiens et des
Docteurs de la Loi un langage d’une violence incroyable. Il a dit aussi que le royaume des cieux
souffre violence et que ce sont les violents qui s’en emparent.
Cette violence qui nous permet d’arracher le royaume des cieux et de
nous en emparer porte un nom spécial. Elle
s’appelle « conversion ». Elle est la forme la plus vraie de
non-violence, celle qui consiste à nous laisser désarmer. C’était la prière de
Christian de Chergé, dans les derniers mois de sa vie, face à la violence dont
il était le témoin : « Seigneur, désarme-les ; désarme-moi ».
Les deux membres de cette prière sont aussi importants l’un que l’autre. On ne
peut être indifférent à la violence qui nous entoure, surtout la violence systémique ;
une telle indifférence serait non-chrétienne. Mais cette prière n’a de sens que
si nous sommes prêts à nous laisser dépouiller nous-mêmes de toutes les formes
de violence qui nous habitent.
Demandons donc au Seigneur de désarmer tous ceux que nous appelons les « terroristes »,
mais demandons-lui aussi de nous dépouiller de toutes nos réactions violentes à
la violence des autres, afin que s’arrête cette chaîne diabolique de réponse à
la violence par la violence.
Remettons-nous sans cesse à l’école de celui qui a dit : « Apprenez
de moi – c’est-à-dire, devenez mes disciples – car je suis doux et humble de cœur. »
Et Jésus ajoutait : « … et je vous consolerai ». Demandons-lui d’être le Consolateur de tous
ceux qui ont été victimes des dernières grandes violences publiques, et tous
ceux qui y ont perdu des êtres chers.
Armand Veilleux
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