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Chapitre du 3 juillet 2016
Abbaye de Scourmont
Les
moines et la Communauté Européenne
Au moment
où la notion d’Europe est remise en cause de nos jours, d’abord par les
conséquences des crises économiques de l’an 2000 et de l’an 2008, puis par
toutes les discussions autour du problème des migrations et enfin, d’une façon
plus déstabilisante encore par la sortie de la Grande Bretagne de la Communauté
européenne, il peut être utile de se demander pourquoi saint Benoît a proclamé « Patron
de l’Europe » par Paul VI, en 1964, durant la seconde session du Concile œcuménique
et la première année de son pontifical. Le fait que nous vivons selon la Règle
de saint Benoît, et que nous célébrerons sa solennité liturgique dans une
semaine nous invite à faire cette réflexion.
Ce qui est
en cause est, au moins en partie, la relation entre la notion d’état-nation et
celle de peuple, des notions qui ont un enracinement biblique et qui ne sont
pas étrangères à la façon dont les premiers moines ont compris la vocation
monastique.
Jésus a
envoyé ses disciples prêcher la bonne nouvelle à toutes les « nations »
pour que, sans perdre leur identité, elles deviennent son « peuple »,
le « peuple de Dieu ». Dans la
spiritualité monastique primitive, le moine se considérait partout comme un
étranger, à l’exemple du Christ, qui s’était fait un étranger parmi nous. L’une
des formes d’ascèse primitive consistait à aller vivre en terre étrangère. Et
certains monastères célèbres de l’antiquité, comme celui de Sainte-Catherine au
pied du Sinaï, comprenaient des moines venant de plusieurs pays.
Quant à
saint Benoît, il vécut et fonda son monastère de Monte Cassino, après celui de
Subiaco, à l'époque où s'écroulait l'Empire romain d'Occident sous les
invasions barbares. Sa rencontre avec
Totila, racontée par saint Grégoire dans ses Dialogues, est un puissant symbole
de la rencontre de l'Esprit ancien du Christianisme avec la vitalité bouillonnante
des peuples nouveaux. Dans le long
processus de regroupement de ces peuples nouveaux, d'abord dans l'Empire de
Charlemagne (appelé "père de l'Europe" par le poète Angibert en 799), puis tout au long de l'histoire
mouvementée de la Chrétienté médiévale, les monastères vivant selon la Règle de
saint Benoît, jouèrent un rôle capital. C'est sans doute l’une des raisons pour lesquelles Benoît a été déclaré
patron de l'Europe. Mais il y a plus.
L'idée de
"nation", avec tout ce qu'elle comporte de fierté, sinon d'orgueil,
et de désir d'hégémonie, fit éclater cette Europe médiévale à l'âge des grandes
révolutions et l'on vit se développer une Europe conquérante, composés d’états-nations,
rappelée à l'humilité par la tragédie des deux guerres mondiales. Les conséquences tragiques des tensions entre
les nouveaux états-nations conduisirent quelques grands politiques, un
Adenauer, un De Gasperi, un Schuman, souvent inspirés par le penseur Jean
Monnet, à développer l'idée d'une Europe nouvelle qui soit une communauté. Paul VI, qui avait été un diplomate avant
d'être Pape, était très sensible à cette aspiration à une communauté
européenne, et c'est évidemment une autre raison pour laquelle il nomma saint
Benoît patron de l'Europe. La Règle qu'écrivit
Benoît pour les communautés monastiques, vaut tout autant, dans son inspiration
fondamentale, pour toute autre forme de communauté, y compris une communauté de
nations et de peuples.
Nous
pouvons espérer que, dans la mesure où nous vivons authentiquement notre vie
communautaire, au sein de cet espace géographique appelé Europe, nous
contribuons au développement de ce qui pourrait devenir un jour une authentique
« communauté européenne », qui, pour le moment, n’en porte guère plus
que le nom.
Ici, à
Scourmont, nous vivons notre vie monastique à la frontière de deux
États-nations, la France et la Belgique et dans un État-nation composé de de
deux groupes nationaux, et nous provenons de plusieurs nations différentes,
proches et lointaines. Nous avons tous le même but qui est celui de la vie
monastique, arriver à la simplicité de cœur qui nous permette d’avoir un seul
amour, un seul but dans notre vie, centrée sur la recherche de l’expérience du
Dieu vivant.
La notion
de « peuple », qui transcende celle de « nations » est au cœur
de l’ecclésiologie de Vatican II, et elle est aussi au cœur de la théologie du
pape François. Cette notion est à la
base de la collégialité voulue par Vatican II et que François est en train de
réaliser, 50 ans après le Concile. Sans tomber trop dans l’auto complaisance, nous
pouvons dire que notre Ordre a été prophétique en ce sens, puisque toute la
réforme de nos Constitutions et des structures de notre Ordre, après le Concile
s’est élaborée à partir de cette notion. Communautés de moines et de moniales,
provenant de nombreuses nations et de tous les continents, nous formons un
Ordre unique, qui est une cellule de l’unique Peuple de Dieu.
Non
seulement chaque moine et chaque moniale est responsable de la qualité de vie
de toute sa communauté, mais nous sommes tous et toutes collégialement
responsables de la qualité de vie monastique de toutes les communautés de notre
Ordre. Nous sommes aussi, en tant que membre du Peuple saint de Dieu,
responsable de la qualité de vie de tous nos concitoyens et concitoyennes avec
qui nous sommes appelés à vivre en synergie. Et donc, puisque nous vivons en
Europe, particulièrement responsables de la qualité de vie de la « Communauté
européenne ». Cette responsabilité s’exerce, évidemment tout d’abord à
travers la qualité de notre propre vie humaine, chrétienne et monastique.
P.S. – Signalons en terminant qu’un grand « Européen »,
Michel Rocard est décédé hier, à l’âge de 85 ans
Armand Veilleux
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