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Dimanche des Rameaux
Chapitre à la Communauté
de Scourmont
13 avril 2016
La parole me réveille
chaque matin
La lecture d’Isaïe que nous venons d’entendre à Laudes, et que nous
entendrons de nouveau comme première lecture à la Messe d’aujourd’hui, comportait
ce très beau passage : : « La Parole me réveille
chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui
qui se laisse instruire ».
C’est sans doute cette parole d’Isaïe qui a inspiré l’auteur du petit
livre intitulé « Les récits d’un pèlerin russe », où l’on
trouve ce passage où le pèlerin, après avoir décrit sa pratique de la « prière
de Jésus », dit : « Un matin, la prière me réveilla ».
Il ne dit pas qu’il se mit à prier dès qu’il se réveilla. Il dit que la prière,
qui continuait en lui durant son sommeil, le réveilla ».
On peut mettre ce texte et celui d’Isaïe avec le premier mot de la
Règle de saint Benoît, qui décrit l’attitude la plus fondamentale du
moine : « Écoute... ». Écouter est autre chose qu’entendre. Et
la « Parole » est autre chose que des mots. Nous entendons tout au
long de nos journées beaucoup de mots et de bruits. La « parole », la
parole vraie, entre personnes humaines, est plus rare. La parole n’est pas
faite simplement pour être entendue ; elle doit être « écoutée ».
Et cela est vrai avant tout pour la Parole de Dieu, celle qu’il prononce sans
cesse en nos cœurs, qui nous donne la vie, et qui nous réveille chaque matin,
si nous y sommes suffisamment présents.
Mais
ce n’est pas tout. La Parole entendue doit être transmise à d’autres. C’était
le début de la lecture d’Isaïe que je viens de citer : « Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un
homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter
celui qui n’en peut plus. »
Nous allons entendre deux fois cette
semaine le récit de la Passion de Jésus : ce matin selon saint Luc et
vendredi, selon saint Jean. Tout au long de cette Sainte Semaine nous allons
entendre aussi beaucoup d’autres textes bibliques nous parlant des souffrances du
Messie. Nous avons déjà entendu ou lu ces textes de nombreuses fois, année
après année. Si nous les lisons de nouveau ce n’est pas simplement pour nous
rafraichir la mémoire. Nous les relisons afin que la Parole qu’ils véhiculent
nous atteigne dans notre aujourd’hui tant individuel que collectif.
Il me semble que la première phrase du
texte d’Isaïe, que je viens de citer, pourrait nous servir de grille de lecture
pour toutes nos célébrations de la Semaine Sainte. Isaïe nous présente l’image du Serviteur de Yahvé, du juste qui est
victime de la violence et de l’oppression injuste. Jésus, dans sa Passion, non
seulement est la réalisation de cette prophétie, mais il incarne et représente
tous les justes de tous les temps, victimes de l’ambition, de la jalousie, de
la convoitise. Sa mort est la prophétie de la mort de toutes les victimes
innocentes des guerres et des oppressions de toutes sortes. Et Pilate incarne
dans sa faiblesse et ses calculs égoïstes tous ceux qui, au long des âges, ne
cessent de se laver les mains devant les injustices qu’ils ne peuvent
s’empêcher de reconnaître comme telles, mais qu’il serait trop dérangeant de
dénoncer.
Nous pouvons mettre
dans la bouche de Jésus ces paroles d’Isaïe :
Dieu mon Seigneur m’a
donné le langage d’un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon
tour réconforter celui qui n’en peut plus.
Il n’est pas rare de nos jours
d’entendre des personnes dire qu’elles n’en peuvent plus. La crise économique des
dernières années a laissé des séquelles qui continuent de frapper durement les
plus faibles. Il n’est pas rares d’entendre des personnes
réduites à demander de l’aide dire qu’elles n’en peuvent plus. Les foules de
réfugiés massées aux frontières de l’Europe ou dans les nouveaux bidonvilles de
nos pays développés crient souvent qu’elles n’en peuvent plus. Et plusieurs
autres n’en peuvent plus pour d’autres raisons, soit familiales, soit
religieuses.
Le Message de
l’Écriture est que Quelqu’un est venu sur notre terre pour réconforter tous
ceux qui n’en peuvent plus. Et comment l’a-t-il fait ? – En « se laissant
instruire », comme dit Isaïe, en devenant lui-même quelqu’un qui n’en peut
plus. Ce que nous révèle le récit de la Passion, ce n’est pas un Dieu
tout-puissant qui viendrait nous réconforter dans notre faiblesse. C’est au
contraire un Dieu qui n’en peut plus. Un Dieu qui ressent « frayeur et angoisse
» lorsqu’il approche de la mort. Un Dieu qui dit « mon âme est triste jusqu’à
mourir », un Dieu qui meurt dans un grand cri après avoir dit « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ». Un Dieu aussi humain qu’il est possible de
l’être et qui nous révèlera par sa victoire sur la mort que nous sommes faits
pour la Vie et qu’il y a, en nous aussi, une semence de résurrection et de vie
éternelle.
Ce Dieu qui est en proie à la contestation, qui est trahi par l’un des siens, qui est mis à mort pour des raisons d’ambition politique, c’est l’expression ultime de l’Emmanuel, le Dieu avec nous, que nous avons célébré à Noël. Et c’est sur le fait qu’il s’est montré « avec nous » dans tous les aspects de notre vie, même les plus pénibles, que repose notre espérance d’être pour toujours « avec Lui ».
Armand Veilleux
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