6 mars 2016 – 4ème dimanche de Carême

Chapite à la communauté de Scourmont

 

 

La joie du désir spirituel

 

         À l’époque où nous avions encore la liturgie en latin, ce quatrième dimanche de carême était appelé le dimanche Laetare, ou dimanche de la joie.  Le mot « laetare » (« réjouissez-vous ») était en effet le premier mot de l’introït, ou du chant d’entrée – qui était d’ailleurs une des plus belles pièces du répertoire grégorien.

            Même si nous n’avons plus ce beau chant d’entrée en latin, le thème de la joie demeure le thème principal de la liturgie d’aujourd’hui.  L’Évangile de l’enfant prodigue nous parle de la joie du père lorsque son fils revient à lui.  D’ailleurs, ce qui est reproché au deuxième fils, celui qui était resté à la maison et avait toujours servi fidèlement son père, c’est son incapacité à se joindre à cette joie, son refus de faire la fête et donc son refus de la miséricorde.

            Dans ce contexte, j’aimerais relire avec vous quelques paragraphes de la Lettre apostolique du pape François du 20 novembre 2014, par laquelle il introduisait l’année de la vie consacrée que nous avons terminée le 2 février dernier.  Même si cette année de la vie consacrée est terminée, il vaut toujours la peine de revenir à ce texte si riche de François.  Après avoir énoncé les trois objectifs de cette année spéciale, qui étaient a) de regarder le passé avec reconnaissance, b) de vivre le présent avec passion (i.e. avec un amour passionné du Christ) et c) d’embraser l’avenir avec confiance, il énumérait, dans une deuxième section, ses attentes. Et la première de ses attentes était que les religieux manifestent la joie à travers toute leur vie.  Voici quelques passages de ce texte :

Qu'est-ce que j'attends en particulier de cette Année de grâce de la vie consacrée ? 1. Que soit toujours vrai ce que j'ai dit un jour : « Là où il y a les religieux il y a la joie ». Que nous soyons appelés à expérimenter et à montrer que Dieu est capable de combler notre cœur et de nous rendre heureux, sans avoir besoin de chercher ailleurs notre bonheur ; que l'authentique fraternité vécue dans nos communautés alimente notre joie ; que notre don total dans le service de l'Église, des familles, des jeunes, des personnes âgées, des pauvres, nous réalise comme personnes et donne plénitude à notre vie.

 

            Et il ajoutait :

Que ne se voient pas parmi nous des visages tristes, des personnes   mécontentes et insatisfaites, parce qu'« une sequela triste est une triste sequela ».

 

Le pape est évidemment conscient de toutes les difficultés que nous pouvons avoir – aussi bien celles que nous avons en commun avec tous les autres humains que celles qui sont propres à la situation présente de nos communautés :

 

Nous aussi, comme tous les autres hommes et femmes, nous avons des difficultés : nuits de l'esprit, déceptions, maladies, déclin des forces dû à la vieillesse. C'est précisément en cela que nous devrions trouver la « joie parfaite », apprendre à reconnaître le visage du Christ qui s'est fait en tout semblable à nous, et donc éprouver la joie de nous savoir semblables à lui qui, par amour pour nous, n'a pas refusé de subir la croix.

Dans une société qui exhibe le culte de l'efficacité, de la recherche de la santé, du succès, et qui marginalise les pauvres et exclut les « perdants », nous pouvons témoigner, à travers notre vie, la vérité des paroles de l'Écriture : «Quand je suis faible c'est alors que je suis fort» (2 Co 12,10).

Nous pouvons mettre cela en parallèle avec un texte de nos Constitutions (C.3.5) qui nous rappelle que ce n’est que si nous ne préférons absolument rien au Christ que nous pourrons trouver notre contentement (i.e. notre joie) « dans une vie simple, cachée et laborieuse ».

Et nous avons évidemment le beau texte du chapitre 49 de la Règle, où saint Benoît nous invite à pratiquer plus intensément durant le carême, tous les aspects essentiels de notre observance monastique, « attendant la sainte Pâque dans la joie du désir spirituel ».

On trouve cette notion du « désir » déjà dans le chapitre 4 de la Règle sur les instruments des bonnes œuvres, dont le sommet est en quelque sorte le verset 46 :: vitam aeternam omni concupiscentia spiritali desiderare – "Désirer la vie éternelle d'une ardeur toute spirituelle".

Le désir de Dieu est déjà, de sa nature même, une union à Dieu, et donc une prière.  C’est le gémissement de l’Esprit en nous, dont parle la Lettre aux Romains lorsqu’il y est dit que nous ne savons pas prier mais que l’Esprit de Dieu prie en nous dans des gémissements ineffables. Ces gémissements sont l’aspiration à la plénitude de la vie.

  Quand Benoît dit que toute la vie du moine doit être conforme à l’observance du carême il implique que toute sa vie doit être animée de cette attente de la Pâque, dans la joie du désir spirituel.  Ce qui fait que la résurrection du Christ est vraiment au cœur de sa spiritualité, même si ni le mot « résurrection » (resurrectio), ni le verbe « ressusciter » (resurgere) n’apparaissent dans sa Règle.

 

Préparons-nous donc à la Pâque dans la joie du désir spirituel.

 

Armand VEILLEUX

 

 


 

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