Chapitre du 17 janvier 2016

Abbaye de Scourmont

 

 

La miséricorde de Dieu

 

          Dans notre rituel cistercien, au début de la cérémonie de prise d’habit d’un novice, celui-ci se tient debout devant l’abbé qui l’interroge en lui disant : « Que demandez-vous ? » et le postulant répond : « La miséricorde de Dieu et celle de l’Ordre ». Le même dialogue est répété lors de la profession temporaire et de nouveau lors de la profession solennelle. Cela veut dire que toute notre vie se veut imprégnée de miséricorde. L’année sainte de la miséricorde voulue par le pape François doit donc avoir un sens tout à fait spécial pour nous.

 

          Ce très bref dialogue entre le postulant (ou le novice, ou le profès temporaire) et l’abbé nous révèle toute une théologie de la vie monastique. Il y a tout d’abord la démarche du candidat qui se présente devant l’abbé, au milieu de la communauté. Le chapitre 58 de la Règle de saint Benoît, sur « La façon de recevoir les frères » commence par les mots (en latin) : « Noviter veniens quis ad conversationem », qu’on peut traduire par « Lorsque quelqu’un se présente pour adopter la vie monastique ».  Il s’agit donc d’une démarche libre et spontanée.  On ne voit pas le moindre indice chez Benoît d’une recherche de vocations, du désir d’avoir de nouveaux candidats.  Il s’agit plutôt d’une démarche spontanée de quelqu’un qui a connu la communauté et qui demande de s’y joindre.

 

          Il y a évidemment eu une démarche antérieure, dont Dieu est l’initiateur. Dans la vie spirituelle tout commence avec la grâce de Dieu ; et le premier mouvement de l’homme est une réponse à cette grâce.  Tout ce long chapitre 58 de saint Benoît décrit un discernement qui consiste à s’assurer que celui qui vient est vraiment mû par un tel mouvement intérieur de l’Esprit et qu’il est désireux et capable d’y répondre. Le candidat vient donc avec un désir qu’il porte en son coeur et qu’il exprime.  Il a déjà découvert quelque chose de la miséricorde divine, c’est-à-dire de l’amour miséricordieux de Dieu, et c’est pour en faire l’expérience qu’il se présente au monastère.

 

          Ce n’est pas la démarche de quelqu’un qui a été amené par un « recruteur », mais d’un homme libre, qui a déjà une relation avec Dieu.  C’est pourquoi il ne se prosterne pas et ne se met pas à genoux devant l’abbé, mais se tient debout, dans toute sa dignité d’enfant de Dieu. (Au cours du rite de la profession solennelle, il se prosternera, mais pas devant l’abbé ou l’a communauté, mais devant Dieu, lorsque l’abbé prononcera sur lui la grande formule de consécration).

 

          C’est parce que le candidat est un homme de désir que l’abbé l’interroge par ces mots : « Que demandez-vous ? ». Et il répond : « La miséricorde de Dieu et celle de l’Ordre ».  Il ne pourrait pas demander la miséricorde de Dieu s’il n’en avait déjà fait une certaine expérience. C’est précisément parce qu’il en a déjà fait l’expérience dans un chemin de connaissance de soi, en se découvrant un pécheur pardonné et aimé, qu’il peut exprimer le désir d’aller plus loin dans cette découverte.

 

          Ce cheminement est très bien décrit dans le Prologue de notre Ratio (Document sur la formation) : « Dans cette école de charité, moines et moniales progresseront dans l’humilité et la connaissance d’eux-mêmes.  Au fur et à mesure qu’ils découvriront les profondeurs de la miséricorde de Dieu dans leur propre vie, ils apprendront à aimer. »  C’est en faisant l’expérience de l’amour de Dieu qu’on apprend à aimer ses frères. Et c’est ce qui justifie ou explique la deuxième partie de la réponse : « La miséricorde de Dieu et de l’Ordre).

 

          On pourrait se demander pourquoi le Rituel ne fait pas dire au postulant « La miséricorde de Dieu et celle de la communauté », car il ne connaît probablement pas grand’ chose de l’Ordre. Il y a là aussi un sens profond. La communion avec Dieu ouvre à une communion plus large, avec une communauté de frères. C’est pourquoi le candidat veut se joindre à une communauté pour faire l’expérience de la miséricorde divine incarnée dans la miséricorde de frères.  Mais ces frères forment une communauté parce qu’ils ont une recherche spirituelle en commun, une façon commune de vivre l’Évangile, un esprit commun.  Ils forment une famille spirituelle.  Or, cette famille formée par une dizaine ou quelques dizaines de frères appartient à une famille plus large, à une communauté de communauté qu’un appelle l’Ordre.  C’est cette grande famille qui a maintenu et transmis à travers les âges le charisme cistercien, ou la forme particulière cistercienne de faire l’expérience de la miséricorde divine.  Il est donc tout à fait normal que le candidat demande – exprime le désir – de faire l’expérience de la miséricorde de Dieu à travers la miséricorde qui lui sera chaque jour exprimée par sa communauté locale et toutes les autres communautés qui forment avec elle la grande famille cistercienne.

 

          Faire l’expérience de la miséricorde implique l’invitation à pratique nous-mêmes le même amour miséricordieux à l’égard les uns des autres, et à l’égard de tous ceux qui ont besoin de nos actes de miséricorde aussi bien corporels que spirituels.  Il est bon de se le rappeler en ce jour qui est la « Journée mondiale du migrant et du réfugié ».  C’est une invitation à transcender toute nos peurs de l’autre et tous nos préjugés pour nous ouvrier à tous ceux qui se présentent à nous.  Ils ne se présentent pas pour entrer en communauté, mais ils sont eux aussi, à leur façon, et d’une façon dramatique, demandeurs de miséricorde.

 

Armand Veilleux

 

 


 

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