|
|
||
|
|||
10
janvier 2016 – Scourmont
Fête
du Baptême du Seigneur
Le baptême de Jésus et notre
consécration monastique
Pour nous moines, la fête du baptême
de Jésus a une importance toute spéciale ; et cela pour plusieurs raisons.
La première est que la « vie consacrée » dans l’Église, dont la vie
monastique est la première manifestation, tire sa justification évangélique de
ce geste de Jésus. (C’est là une idée sur laquelle je suis souvent revenu,
parce qu’elle m’est chère).
En effet, à l’époque du Christ il y
avait un courant de vie ascétique et mystique en Syrie ou dans tout ce qu’on
appelle actuellement el Moyen Orient, y compris en Israël. Certains éléments de
ce courant ascétique étaient venus d’Extrême Orient, en particulier de Perse, à
travers la « Route de la soie » dont j’ai parlé récemment. Mais d’autres
éléments s’étaient développés en Israël même, après l’exil dans les groupes d’Anawim
(ou « Pauvres de Jahweh » et en particulier
chez les Esséniens. Jean le Baptiste, qui joue un rôle important dans l’Évangile
de Luc (que nous lisons cette année dans le cycle liturgique dominical) y est
représenté non seulement comme celui par qui Jésus vient se faire baptiser,
mais comme un ascète. Luc se plait à comparer Jésus à Jean : Jean vit dans
le désert, et Jésus commence sa vie publique par 40 jours dans le désert, y
jeûnant comme Jean.
Lorsque Jésus descend dans l’eau du
Jourdain pour se faire baptiser, il assume en quelque sorte tout ce mouvement
ascétique et lui donne une nouvelle signification. Dès les premières générations chrétiennes,
ceux qui se sentiront appelés à assumer comme mode permanent de vie les
exigences radicales de Jésus dans l’Évangile, trouveront dans cette tradition
ascétique une forme d’expression.
Luc était un Syrien, d’Antioche ;
et toutes les caractéristiques de son évangile, en particulier son concept radical
de pauvreté, son insistance sur la prière et surtout l’importance de l’Esprit
Saint correspondent au caractéristique de l’ascétisme primitif de Syrie,
antérieur au monachisme égyptien. Dans cette tradition syriaque il y a une
conception du baptême assez différente de celle des Églises fondées par saint
Paul. Chez Paul on trouve une mystique christocentrique de la mort dans sa conception
du baptême. En étant plongé dans l’eau, on meurt symboliquement avec le Christ
pour ressusciter avec Lui à une vie nouvelle. Dans les Églises syriaques on trouve une théologie différente du baptême
(le pluralisme théologique existe déjà). Cette théologie est fondée sur la
naissance nouvelle dans l’Esprit et l’eau. Pour eux, après que l’Esprit fut descendu sur Jésus dans l’eau du
Jourdain, et que le Père eût prononcé la parole : « Tu es mon fils
bien-aimé », Jésus est sorti du Jourdain comme le nouveau Adam plein de l’Esprit.
Et donc, dans l’ascèse chrétienne
syriaque primitive, l’ascétisme radical est vu non pas tant comme une forme de
pénitence dans le but de participer aux souffrances du Christ (comme chez saint
Paul), mais comme une façon de se séparer de tout ce que Jésus a déclaré mort
(lorsqu’il a dit « laisse les morts enterrer leurs morts » pour
renaître avec Lui à une vie nouvelle dans l’Esprit.
De façon diverses, dans toutes les
formes de vie monastique, par la suite, aussi bien en Égypte que, plus tard, en
Occident, la vie monastique sera toujours reliée d’une façon ou de l’autre au
baptême, et les engagements monastiques seront vus comme une façon de renforcer
ou de vivre plus intensément nos engagements du baptême. D’ailleurs, durant les
premiers siècles il n’y avait pas de profession monastique ou de promesses
autres que celles du baptême. Il y avait simplement la promesse de vivre ces
engagements selon le mode monastique. Puis, il y eut assez tôt l’engagement au célibat (qui était l’essentiel
de cette forme monastique de vivre l’Évangile) et, plus tard, il y eut l’explicitation
des trois voeux de célibat, de pauvreté et d’obéissance.
Ce lien entre le baptême et notre
profession monastique est bien exprimé dans nos Constitutions, dans la Cst. 8
intitulée « consécration monastique ».
C. 8 La consécration
monastique
Par la profession monastique (cf. can.
654 du CIC), le frère est consacré à Dieu et agrégé à la communauté qui
l'accueille. En même temps, la consécration qu'il a reçue au baptême et à la
confirmation est rénovée et vivifiée. Le frère s'engage à une vraie conversion
de vie, en persévérant dans la stabilité et en obéissant joyeusement jusqu'à la
mort.
Dans cette, Constitution,
on alterne entre deux catégories, celle de "consécration", qui est
plus proprement monastique et celle de "profession" utilisée par le
Droit universel. La première partie de
cette Constitution est d'ailleurs une citation du Code de Droit Canon (canon
654) qui disait que, par la profession, les religieux se consacrent à Dieu et
s'agrègent à l'institut où ils font profession. Pour nous cette agrégation est faite à la communauté qui nous accueille.
Cette consécration a une
double dimension. Elle n'est pas
simplement un acte que nous posons; elle est aussi -- et d'abord -- une grâce
que nous recevons. Dieu nous a
consacrés à Lui -- Il nous a mis à part pour Lui -- avant même que nous nous
consacrions nous-mêmes à son service. C'est pourquoi notre texte affirme que notre profession monastique
renouvelle et vivifie la consécration reçue -- le mot est à noter -- au
baptême et à la confirmation. Ceci
reprend une idée déjà exprimée dans le document conciliaire Perfectae
caritatis (nº 5)
[1]
et
repris en divers endroits par Jean-Paul II (par exemple dans Redemptionis donum, nº
7)
[2]
.
Cette notion d'un renouvellement et d'un renforcement de la consécration reçue
au baptême est théologiquement beaucoup plus juste que celle de profession
monastique comme "second baptême", du moins dans la compréhension
moderne de cette expression. (En effet, la notion de profession comme
"second baptême" dans le monachisme ancien était bien celle d'un
renouvellement et d'un renforcement plutôt que celle d'un "nouveau"
baptême s'ajoutant au premier).
Quant au mot
"profession", il implique l'idée d'une déclaration ou d'une proclamation
publique, par laquelle nous nous engageons publiquement, à la face de tout le
peuple de Dieu, tout d'abord à une conversion de vie, ensuite à persévérer dans
la stabilité et une joyeuse obéissance. Toutes les valeurs essentielles de la vie monastique peuvent être vécues
dans le monde. Celui ou celle qui
s'engage dans une communauté monastique par la profession professe ou proclame publiquement qu'il veut les vivre et s'engage publiquement à les vivre
Pour bien comprendre le
sens de la consécration, il faut réfléchir un peu sur la notion de
sacré. Contrairement aux mythologies
anciennes pour lesquelles il y avait un monde du sacré séparé du monde profane
et une tension ou même lutte entre ces deux mondes, dans la théologie de
l'Ancien Testament et encore plus du Nouveau, tout est profane, car toute la
création a été mise à la disposition de l'être humain. Rien n'est sacré en soi, mais tout peut
devenir sacré lorsque utilisé pour exprimé un culte à
Dieu. Dans un certain sens tout être
humain est sacré, puisqu'il est créé à l'image de Dieu et expression de sa
gloire. Tout baptisé est un
"consacré" car choisi par Dieu pour être fils ou fille dans le Fils
et être un témoin de l'Évangile. Cette
consécration du baptême acquiert une forme spéciale d'expression, lorsqu'on est
appelé par vocation à la vivre dans la vie monastique.
À Vatican II, on avait d’abord
prévu une Constitution apostolique sur la Vie Religieuse (qui connut d’ailleurs
plusieurs versions). Ce projet fut abandonné et on introduit plutôt un chapitre
spécial sur la vie consacrée, dans la Constitution sur l’Église, après le
chapitre sur l’appel universel à la sainteté. Ce qui a une grande importance
théologique.
Plus qu'un honneur, notre
consécration monastique est un engagement, comme le dit la dernière partie de
la Constitution: "Le frère s'engage..." . Ce à quoi il
s'engage sont les éléments de la conversatio cistercienne dont il est
question dans les Constitutions suivantes.
Armand VEILLEUX
|
|
||
|
|||