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Chapitre du 3 janvier 2016
Épiphanie – Chapitre à la Communauté de Scourmont
La route de la soie
J’avais d’abord pensé ne pas faire de
Chapitre ce matin, étant donné que la liturgie nous a déjà apporté une
nourriture spirituelle très abondante ces dernières semaines, et aussi que
plusieurs d’entre nous ont probablement besoin d’un peu de repos supplémentaire.
Mais, finalement, je me suis dit qu’il serait dommage de ne pas se réunir en
communauté pour au moins quelques minutes en cette belle Fête de la
Manifestation du Seigneur.
Je
laisserai à l’homéliste du jour le soin de nous faire pénétrer dans les textes
bibliques de la messe et dans le mystère de la fête. Je ferai donc simplement
quelques réflexions de caractère historique et quelques réflexions sur la
situation contemporaine à la lumière de ces constatations.
D’abord quelques mots sur
les « rois » mages. Il y a peu de
récits évangéliques, y compris parmi ceux concernant l’enfance de Jésus, sur
lesquels se soit construites des légendes populaires aussi élaborées.
L’Évangile ne dit pas combien de mages il y avait ;
mais dès le deuxième siècle on a commencé à considérer qu’ils étaient trois, à
partir des trois présents mentionnés dans le texte de Matthieu. Puis, à partir
du 6ème siècle, on les a pris pour des rois, et on a même décidé de
quel pays ils étaient, puis on les a baptisés : Melchior, roi de
Perse ; Gaspar, roi d’Arabie et Balthasar, roi de l’Inde. Un peu plus tard, au 8ème siècle, Bède le Vénérable leur a fait représenter plutôt les trois continents
connus à l’époque : l’Europe, l’Asie et l’Afrique et alors les peintres
ont commencé à donner à chacun la couleur de la peau correspondant à cette
provenance supposée. Enfin, au 12ème siècle, les Croisés, qui ont ramené d’Orient les reliques les plus
invraisemblables, ont, bien sûr, ramené aussi les ossements des trois rois
mages, qui furent d’abord vénérés à Milan et que vous pouvez aujourd’hui aller
vénérer à Cologne, si le coeur vous en dit.
Le récit
de Matthieu (totalement absent des trois autres Évangiles) est certainement un
récit de caractère symbolique plutôt que la description d’un événement
historique. Mais pour que ce récit
puisse avoir un sens pour les lecteurs de l’époque il devait y avoir un
substrat historique qui le rendait compréhensible.
On
sait qu’il existait dans l’antiquité un réseau de routes commerciales entre
l’Asie et l’Europe, allant de la Chine jusqu’à Antioche en Syrie, à laquelle
les historiens et les géographes ont donné à l’époque moderne le nom de
« Route de la soie ». Cette route est mentionnée dans les chroniques
chinoises et romaines à partir du 4ème siècle avant le Christ. Par cette route transitaient non seulement la
soie, mais des métaux précieux comme l’or, de l’encens, des épices, de la
myrrhe et bien d’autres choses, y compris les armes. Transitaient aussi des
traditions philosophiques et religieuses ainsi que des traditions ascétiques
venues d’Extrême Orient jusqu’à Qumran, par exemple.
Lorsque
Matthieu, dans le récit symbolique de son Évangile que nous venons de lire,
fait intervenir des mages venus d’Orient, il se réfère à une réalité que ses
contemporains pouvaient facilement comprendre, car ces échanges, et
l’apparition soudaine de commençants ou de sages venus de pays très lointains
de l’Orient n’étaient pas pour eux une chose inconnue.
Dans
une homélie pour l’Épiphanie que j’ai donné il y a
quelques années, je rappelais cette « route de la soie » et je disais
que l’histoire se répète. La Route de la soie fut pratiquée durant plusieurs
siècles. On sait que Marco Polo
l’utilisa au 13ème siècle et serait même la seule personne connue
(avec son père et son oncle), à l’avoir parcourue dans son entier. Mais elle tomba en désuétude à cause des
dangers qu’elle comportait, et fut graduellement remplacée par des routes
maritimes. Or, de nos jours, les grandes
puissances, aussi bien celle de la Chine que celle d’Amérique parlent depuis
quelques décennies d’une Nouvelle Route
de la Soie, reliant les contrées riches en pétrole et en gaz naturel de
l’ancien empire soviétique, à la Chine, en passant par l’Afghanistan, le
Pakistan et l’Inde, contournant l’Iran. Une route de la soie qui véhiculera entre autre les nouveaux produits
précieux que sont le pétrole et le gaz naturel.
Tout
cela est relié à des plans de « nouvel ordre mondial » et de reconfiguration
du « Grand Moyen Orient ». Des
plans qui sont à l’origine de toutes les guerres qui ravagent actuellement
cette partie du monde, et qui ont engendré une nouvelle route vers l’Occident
qu’entreprennent au péril de leur vie des millions de réfugiés. Les raisons
pour lesquelles ils fuient leurs pays ne sont pas tellement différentes de
celles pour lesquelles Joseph dut s’enfuir en Égypte avec Jésus et Marie pour
fuir la méchanceté meurtrière du vieux roi paranoïaque, Hérode.
Dans une homélie pour l’Épiphanie
prononcée en 2006, Benoît XVI, s’adressait à ceux qu’il appelait les
« Mages d’aujourd’hui », à savoir les politiciens, les hommes de
sciences et les représentants des religions non-chrétiennes. Il les appelait, à la suite du Concile
Vatican II, à ne pas craindre la lumière apportée au monde par le Christ et qui
est destinée à tout être humain, de tous les temps, de toutes les races,
langues et religions.
En cette année qui commence dans un
contexte de violence généralisée et de peur, prions pour qu’une étoile guide
nos politiciens, que Benoît XVI appelle les « mages d’aujourd’hui »
afin qu’ils orientent notre monde vers la paix et non plus vers un cycle de
violence répondant à la violence.
Quant à nous, ouvrons tout grands nos yeux et nos cœurs aux Épiphanies de Dieu
dans le cœur et la vie de toutes les personnes de bonnes volonté, de toutes
races et de toutes religions.
Armand VEILLEUX
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