|
|
||
|
|||
Chapitre
du 29 novembre 2015
Avent
L’Avent est un temps d’attente, et
donc un temps qui convient tout particulièrement aux moines, parce que la vie
monastique est fortement marquée par l’attente eschatologique. Le jour de sa profession le moine bénédictin
chante trois fois : « Suscipe me secundum eloquium tuum et vivam et non confundas me ab expectatione mea. » -- « Reçois-moi, Seigneur, selon ta
parole et je vivrai et ne me déçois pas dans mon attente ».
De quelle attente s’agit-il ? Qu’est-ce que nous attendons au juste durant
l’Avent ? Nous ne faisons pas simplement
attendre qu’arrive la fête de Noël avec toutes ses célébrations, ses échanges
de voeux et ses coutumes populaires qui peuvent parfois faire oublier le
véritable sens de Noël.
Il s’agit de l’attente du retour du
Seigneur. Non pas attente de la fin du
monde, mais de la réalisation plénière de l’Incarnation dans l’humanité
entière. Par l’incarnation, en effet, ce
n’est pas simplement « un homme », mais c’est toute l’humanité qui a été
assumée par Dieu et qui doit être transformée graduellement par sa grâce. Tout le but de notre vie monastique est notre
graduelle transformation à l’image du Christ, et donc la pleine naissance du
Christ en chacun de nous.
Noël est la célébration de cette
naissance toujours en devenir et toujours en voie de réalisation, et non
seulement un souvenir de la naissance de Jésus à Bethléhem il y a deux mille ans.
Les Livres de l’Ancien Testament nous
transmettent l’expérience spirituelle du peuple juif qui a vécu cette attente
et qui a fait graduellement la découverte de Dieu. Dans cette longue histoire,
que nous allons revivre symboliquement durant le Temps de l’Avent, il y a un
certain nombre de témoins privilégiés : des poètes, des mystiques, et
surtout de grands croyants, qui nous accompagneront durant la liturgie de l’Avent
Tout
d’abord le prophète Isaïe :
Il y a tout d’abord
le prophète Isaïe, à qui la première lecture de la messe quotidienne sera
empruntée durant la majeure partie de l’Avent.
Isaïe était un utopiste. Il vécut dans un temps très tourmenté, du point de vue social, politique
et religieux. Il s’efforça d’éveiller le
peuple à l’espérance, annonçant une humanité nouvelle. En mettant le Temple de Jérusalem – lieu où
résidait la gloire de Dieu -- au coeur de cette nouvelle humanité, il évoquait
l’image de la paternité universelle de Dieu sur toutes les nations.
Dans sa vision, Dieu sera le père et l’arbitre de toutes
les nations. Celles-ci ne se soulèveront
plus les unes contre les autres, on ne s’entraînera plus à la guerre. -- Quelle utopie ! -- Mais voyons de plus près en quoi elle
consiste, cette utopie. On ne se
limitera pas à enterrer la hache de guerre. On ne se contentera pas de ne plus utiliser les armes ni même de les
détruire (comme il arrive, de nos jours aux grandes puissances de détruire une
partie symbolique de leur armement nucléaire ou autre). On transformera plutôt les épées en socs de
charrue et les lances en faucilles, c’est-à-dire en instruments de
travail. On remplacera la guerre par une
activité de développement. C’est là une
utopie qu’il faut toujours raviver et garder vivante, jusqu’au jour où elle se
réalise, car l’humanité ne saurait vivre sans elle.
Dans
un texte que nous lirons cette semaine, Isaïe brosse un tableau où un petit
garçon conduit ensemble le loup et l’agneau, le léopard et le chevreau, le veau
et le lionceau ; où la vache et l’ourse auront le même pâturage, le lion
mangera avec le boeuf ; et le nourrisson
s’amusera sur le nid du cobra. Oui ! le mouvement de l’histoire va dans
cette direction. Et cependant les
journaux quotidiens nous rappellent que la violence, la soif du pouvoir et de
l’argent sont toujours présents. Tant de
crimes quotidiens nous rappellent que tout le monde n’est pas encore rempli
d’un esprit d’amour et de paix... Le sommes-nous ?
Jean-Baptiste :
Un autre
témoin qui va nous accompagner durant l’Avent, c’est Jean-Baptiste, qui est à
point charnière entre l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Évangéliste Luc nous
le présentera dans l’Évangile du 2ème et du 3ème dimanche.
Jean est le pauvre par
excellence. Son identité personnelle ne
fait qu’un avec sa mission. Il ne vit
que pour cette mission. C’est un pauvre,
qui n’a rien à perdre. Il annonce Jésus,
il invite à la conversion, à la justice et au partage. Quand sa mission est
terminée, il disparaît.
Au moment même où Jean annonçait ce messie, voici qu’un certain
Jésus vient se faire baptiser au milieu de la foule. Jean a alors la claire révélation de
l’Esprit-Saint, que c’est vraiment lui le Messie, l’Agneau de Dieu qui enlève
les péchés du monde. Au moment où elle
lui avait été donnée, cette révélation lui paraissait si claire, si évidente,
qu’elle lui semblait exprimer une vérité absolue. Or, voici que lui, Jean, qui a continué de
remplir avec courage son rôle de prophète, jusqu’à reprocher à Hérode sa
conduite, se retrouve en prison, et le Messie ne fait rien pour libérer son
prophète. Bien plus, ce Messie n’agit
pas comme il l’avait prévu et annoncé. Il ne condamne pas, il ne juge même pas. Il se contente d’annoncer le
Royaume de son Père. Est-il vraiment le
Messie. Faut-il en attendre un autre qui
viendra finalement mettre de l’ordre dans la société et dans le Peuple de
Dieu en détruisant les pécheurs ? Il envoie donc ses disciples demander à
Jésus : « Es-tu vraiment celui qui doit venir (celui que j’ai
annoncé) ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jésus ne répond pas
directement à la question de Jean, mais ne laisse aucun doute quant au type de
Messie qu’il entend être et sur ce qu’il est venu faire : redonner la vue aux aveugles, faire
marcher les boiteux, purifier les lépreux, redonner l’ouïe aux sourds,
ressusciter les morts (tout cela peut s’entendre aussi bien au spirituel qu’au
physique), et surtout annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Non, il n’est pas venu pour juger et
condamner, et il le dira expressément plus tard lorsqu’on lui demandera de le
faire.
Autres témoins
La liturgie et tout spécialement l’Évangile de Luc nous
ferons connaître de nombreux autres témoins durant ce temps de l’avent,
spécialement des témoins qui incarnaient tous les siècles d’attente du Peuple
juif : Ce sont Zacharie et Elizabeth,
puis Siméon et Anne, et
évidemment Joseph et Marie, la Mère de Jésus.
Luc, dès le début de son évangile, établit un parallèle
entre Zacharie et Marie
Zacharie était un vénérable vieillard, dont l'arbre
généalogique contenait la crème de la bourgeoisie d'Israël. Sa carte de visite était impressionnante :
prêtre, d'origine lévitiqe, strict observant de la
Loi, qui accomplissait le service sacerdotal dans le temple, et qui y était
entré ce jour-là pour offrir le sacrifice de l'encens. Marie, à l'opposé, est une toute jeune fille,
d'une humble famille et d'une humble bourgade, dont on ignore la lignée
ancestrale bien qu'il soit dit que son fiancé était de la lignée de David.
Ce que Luc veut montrer c'est que l'Institution religieuse,
avec tout ce qu'elle a non seulement de prestige, mais aussi de vertu et de
grandeur, ne reçoit pas -- en tout cas pas sans demander des preuves -- le
message de Dieu et elle est réduite au silence. Le petit peuple, celui des Anawim, des "pauvres de
Yahvé", représenté par Marie -- ce petit peuple, pas très observant de la
loi qu'il ne connaît que vaguement et méprisé par les grands, reçoit ce message
avec une foi toute fraîche et ingénue; et sa bouche se
délie dans un chant de louange : Mon âme exalte le Seigneur.
Les
Chrétiens de l’Église primitive :
Enfin, on
pourrait dire que les Évangélistes nous présentent aussi l’expérience
spirituelle de la première génération chrétienne. En effet, le grand discours eschatologique de Jésus
tel qu’il nous est transmis dans les Évangiles synoptiques, nous transmet l’attente
eschatologique de la première génération chrétienne.
Conclusion :
C’est en compagnie de cette multitude de « témoins »
que nous nous préparerons à la célébration de de la naissance de Dieu dans
notre histoire.
Armand VEILLEUX
|
|
||
|
|||