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Chapitre du 11 octobre 2015
Cultiver nos utopies
Je me suis
demandé si je devais revenir tout de suite sur les échanges que nous avons eus
cette semaine, durant notre retraite, ou attendre quelque temps pour le faire
avec un peu de recul. J’ai finalement décidé, non pas de faire un bilan, mais
de vous livrer quelques brèves réflexions à partir de ce qui a été dit.
J’aimerais
partir d’une intervention de Père Prieur (P. Jacques Blanpain), qui, avec la
sagesse de ses quatre-vingt-cinq ans accomplis hier, nous disait toute l’importance
de la petite conjonction « vers » dans sa vie et dans sa
spiritualité. Nous sommes toujours en
mouvement. Nous sommes venus vers le monastère ; au monastère nous
allons vers Dieu ; nous marchons vers la parousie. Durant ce
cheminement, nous sommes toujours en mouvement vers une nouvelle étape.
L’important est de ne jamais s’arrêter.
Cela me
rappelait les mots du beau poème du poète espagnol Antonio Machado, que vous
avez sans doute entendus plusieurs fois : « Caminante...
no hay camino... se hace camino al andar » -- ce qui peut se traduire par : « Marcheur,
il n'y a pas de chemin, le chemin se construit en marchant ».
De fait,
au cours de nos échanges, même si nous avons énuméré bien des domaines où nous
avons des progrès à faire, bien des buts que nous aimerions atteindre et des
moyens que nous aimerions utiliser un peu mieux pour arriver à ces buts, nous
nous sommes rendu compte que nous sommes unanimes sur le fait que notre but ultime
à chacun de nous personnellement et à nous tous comme communauté, c’est de
marcher à la suite du Christ. C’est là que s’enracine notre unité. Et ce but
est très clairement exprimé dans l’Évangile d’aujourd’hui. À celui qui lui demande ce qu’il faut faire
pour avoir en héritage la vie éternelle, Jésus énonce d’abord toutes les
conditions, puis énonce le but : « viens, suis-moi ».
Nous avons
la chance et le défi d’être une communauté non seulement multiculturelle (dans
le petit groupe de cinq dont je faisais partie, au cours de nos échanges, nous
représentions cinq nationalités différentes), mais aussi d’être une communauté
qui représente, par nos origines monastiques variées, des sensibilités spirituelles
différentes. Aller « vers » une unité toujours plus grande est
un beau défi.
Dom
Bernardo Olivera aimait, dans quelques-unes de ses lettres ou conférences, utiliser
la notion d’utopie, dans son sens original, qu’on trouve dans l’ouvrage
de Thomas More intitulé Utopia. Une utopie,
dans ce sens, est quelque chose qui est différente du présent, mais qui existe
en puissance, qu’on peut imaginer et vers laquelle on tend pour en faire une
réalité.
Je crois
qu’on peut mettre cela en relation avec une notion que le pape François a
développée dans son Exhortation apostolique Evangelii gaudium, (n.
222-225) et qu’il a reprise dans son Encyclique Laudato si’, (n. 178), à savoir sa notion de temps comme supérieur à l’espace. Pour
lui, le « temps » fait référence « à la plénitude comme
expression de l’horizon qui s’ouvre devant nous, et le moment est une
expression de la limite qui se vit dans un espace déterminé ». Pour
lui, nous vivons « en tension entre la conjoncture du moment et la lumière
du temps, d’un horizon plus grand, de l’utopie qui nous ouvre sur l’avenir
comme cause finale qui attire ». Il
s’agit toujours d’aller vers...
Nous
sommes toujours tentés de nous installer là où nous sommes, dans des situations
que nous contrôlons, dans des façons de faire qui nous sont familières. C’est
ce que François appelle des « espaces de pouvoir ». Nous voulons
garder un contrôle que nous avons de moins en moins. Vu notre fragilité, la seule chose qu’il
convient de faire, dans la foi, est d’engendrer des processus de croissance
tendant vers autre chose, qui demeurent une utopie, mais une
utopie appelée à se réaliser.
Toute
cette doctrine se trouve déjà exprimée dans les paraboles traitant du grain mis
en terre, et dont il faut attendre la croissance.
Bâtissons
l’avenir de notre communauté non pas en nous accrochant à ce que nous avons
toujours fait, mais en nous ouvrant à tous les processus de croissance qui nous
amènent vers un avenir que nous pouvons percevoir dans la foi.
Armand Veilleux
Caminante, son tus huellas Marcheur, ce sont tes traces
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