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La souffrance des Réfugiés
En 1972, alors que la guerre du Viet Nam durait depuis 17 ans et que tous
les mouvements d'opposition à
la guerre en Amérique semblaient sans effet, apparut soudain une photo qui
montra toute l'horreur de cette guerre : c'était la photo d'une petite fille vietnamienne toute nue, le corps brûlé
par une bombe au napalm, qui s'enfuyait avec d'autres enfants. On connut plus tard son nom. Elle s'appelait Kim Phuc.
Cette photo eut un tel effet sur les consciences que ce fut le début de la fin
de la guerre du Viet Nam.
Quiconque jette un
coup d'œil sur les journaux a vu ces derniers temps la photo du corps d'un jeune enfant syrien, de quatre ans, rejeté sur la
plage. Il s'appelait Ayslan Kurdi. Au cours des dernières années, nous
avons vu beaucoup de photos de barques surchargées de réfugiés, que l'on
appelle simplement des
« migrants », de récits de naufrages où sont morts
des centaines de personnes, ou encore des
foules entassées dans les camps de réfugiés sur les îles italiennes ou grecques. Mais cette photo où apparaît toute la vulnérabilité de ces
réfugiés et toute l'horreur de nos guerres,
semble avoir eu un effet plus grand que tout ce qui avait précédé.
Bien sûr, il y a des gens pour parler de
« sensationnalisme » et d'appel malsain
à la sensibilité. En fait, cette photo a une valeur de symbole, je dirais même de sacrement. Une idée qui m'est chère et que j'ai
souvent exprimée, c'est qu'un des aspects de la transformation culturelle qui s'est opérée de nos jours
dans toutes les cultures, est qu'on
est de moins en moins sensible aux symboles inventés par les hommes et de plus en plus sensible à la valeur
symbolique de tous les gestes de la vie quotidienne. Cette photo est un symbole
d'une puissance extraordinaire.
Tout dépend, évidemment des yeux avec lesquels on la regarde. J'ai lu ces
jours-ci dans une revue latino-américaine, un petit article sur « Les yeux du
pape François ». La théologie de
François est en effet celle de la compassion, qui s'efforce sans cesse de se mettre à la place de l'autre,
surtout de l'autre qui souffre. Son regard est toujours celui du coeur et non des dogmes. Il est plus attentif
à la souffrance des personnes
qu'à leurs échecs ou même à leurs erreurs. Ce sont les yeux d'une mère plus que ceux d'un juge. Cela
explique son attitude à l'égard de ceux dont le mariage a échoué et qui ont refait leur vie dans une autre
union ; à l'égard
des homosexuels, à l'égard des femmes qui ont avorté, à l'égard des théologiens excommuniés dans les années précédentes.
C'est avec les mêmes yeux que François regarde le
calvaire de ces foules obligées de quitter tout pour
fuir la guerre (des guerres souvent voulues et engendrées par l'Occident), ou
la persécution, la faim et la mort.
Les lectures de la Messe
d'aujourd'hui, aussi bien l'Évangile que la lecture d'Isaïe, nous parlent du
Serviteur Souffrant ; et, dans l'Évangile, Jésus invite à le suivre sur le chemin de la souffrance en portant
chacun sa croix. Pour François, les
réfugiés qui
arrivent en vagues successives sur les côtes de l'Europe, ou à ses frontières
terrestres, quelle que soit leur provenance ou leur religion, sont les crucifiés
d'aujourd'hui. (Il a souvent été remarqué que la petite fille vietnamienne brûlée
au napalm a, sur la photo célèbre que j'ai mentionnée, les bras étendus en forme
de croix).
Au moment où les partis politiques de droite et de gauche organisent ces jours-ci des démonstrations pour ou contre
l'accueil des réfugiés, et au moment où les chefs d'État discutent froidement
de quotas, François, dans une intervention récente, a invité les paroisses et les communautés
religieuses à s'ouvrir aux réfugiés et à donner l'hospitalité à une famille.
Nous devons nous ouvrir à cet appel du Pape. Notre maison Béthanie, juste en face du monastère, sert depuis longtemps à
recevoir des personnes sans papiers en attente d'une réponse à leur demande d'asile (une attente qui,
malheureusement, se
termine dans presque tous les cas par un ordre de quitter le territoire). Ce programme, géré par la commune, a été terminé
récemment par une décision gouvernementale (pour des raisons de restrictions budgétaires). Mais,
devant l'accroissement
soudain du nombre de réfugiés, la maison est restée ouverte et a reçu ces
dernières semaines des Syriens et des Somaliens. (Lorsqu'on parle avec eux, on découvre que l'histoire de chacun d'entre
eux est un drame incroyable).
Nous devrons voir dans les prochaines semaines ce que nous pourrions faire pour ces réfugiés, en plus de contribuer
financièrement aux activités de Caritas e d'autres organismes comme le Services des Réfugiés des Jésuites.
Cherchons ensemble dans la prière comment nous pouvons répondre à cet appel du Pape.
Armand VEILLEUX
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