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26 juillet 2015
Abbaye de Scourmont
Temps de crises
C’est dans
quatre mois qu’aura lieu à Paris la Conférence des Nations Unis sur les
changements climatiques. En préparation à cette Conférence une quarantaine de personnalités
se sont réunies à Paris il y a quelques jours (21 juillet) pour ce qu’on a
appelé un « Sommet des Consciences sur le Climat ». Parmi les
participants se trouvait le philosophe et sociologue Edgar Morin, qui, à 94
ans, ne cesse de réfléchir sur tout ce qui intéresse les humains et d’écrire.
Il a donné une interview au journal économique L’Echo, quelques jours
après cette rencontre. Même s’il est athée il est plein d’éloges sur la récente
encyclique du pape François -- tout à l’opposé de plusieurs groupes d’extrême
droite, même catholiques, qui ont critiqué cette encyclique de façon parfois
virulente.
« Alors
que les partis écologistes – dit-il – font de la politique au jour le jour, et
parfois de manière très fragmentaire, voilà un document ‘pensé’ de la situation
actuelle où on ne peut séparer les problèmes écologistes des questions humaines
et sociales ». Et il ajoute « Je ne suis pas croyant, mais j’estime
que ce message est peut-être l’acte d’un appel pour une nouvelle civilisation ».
Edgar
Morin a bien perçu le message de François qui montre que la crise écologique
est inséparable de la crise sociale, et que toutes les deux ne sont que des
aspects d’une crise de société qui est une crise des valeurs et qui appelle de
la part de toute la société et donc de chacun de nous une réelle conversion,
qui donnera naissance à une nouvelle civilisation. En tant que moines vivant
selon la Règle de saint Benoît et faisant un vœu de « conversion »,
nous ne pouvons pas ne pas nous sentir interpellés.
L’un des
mots qui revient tout au long de l’encyclique Laudato si (plus de trente fois) est le mot crise. Cet aspect de
l’encyclique a été étudié par Leonardo Boff, un des éminents théologiens de la
libération, qui avait fait sa thèse de doctorat en Allemagne avec Karl Rahner,
mais qui eut maille à partir avec les Papes Benoît XVI et Jean-Paul II. Il a
par la suite quitté le sacerdoce et a orienté sa réflexion théologique sur les
questions écologiques. Depuis l’élection
de François, il n’a cessé d’exprimer son admiration et son appréciation pour le
Pape, sa personnalité et sa doctrine.
Dans la
foulée de l’encyclique, Boff souligne que rarement, dans l’histoire, on a eu
une telle accumulation de situations de crise au même moment. Les unes sont conjoncturelles et peuvent être
solutionnées ; les autres sont structurelles et plus profondes et peuvent
mettre en péril aussi bien la terre que l’humanité. Pour le Pape (nº 61)
« il est certain que l’actuel système mondial est insoutenable de
divers points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux fins de l’action
humaine ».
L’étymologie
du mot crise est intéressante. D’abord en sanscrit, qui est la langue mère de toutes les langes
indoeuropéennes et donc de la grande majorité des langues occidentales, crise
vient de kir ou kri, qui signifie
purifier ou nettoyer. C’est d’ailleurs de la même racine que vient le mot
« creuset », qui est un récipient en matériau réfractaire, qui sert à
purifier l’or en le séparant de tous les agrégats ou impuretés. La crise est
donc un processus « critique » qui sépare ce qui est essentiel et
vrai de ce qui est accidentel ou faux.
En grec,
qui est l’une des langues indoeuropéennes descendant du sanscrit, le mot crise
désigne une décision faite par un juge après examen d’une situation ou un
diagnostic porté par un médecin après auscultation du patient.
Dans l’un
ou l’autre sens, non seulement la terre, ou notre « maison commune »
comme l’appelle François, est arrivée à un moment de crise, mais aussi toute
l’humanité. Et toutes les crises que
nous pouvons vivre au sein de l’Église ou au sein de la vie religieuse et
monastique doivent se comprendre comme un aspect de cette crise globale.
Edgar
Morin, dans l’entrevue que j’ai mentionnée au début, parle d’une crise profonde
de l’Union européenne. « Au départ, écrit-il, le projet européen avait un
humanisme sous-jacent. Ses promoteurs
avaient vécu les horreurs des deux Guerres et voulaient s’unir pour éviter, à
tout prix, de futurs ravages. L’Europe d’aujourd’hui est trop hétérogène, trop
divisée. En façade, il n’y a que cette union monétaire qui la fasse
tenir. » Dans la gestion de la
crise grecque, dit-il encore « L’Union européenne est devenue totalement
inhumaine ».
La finance
et la technocratie a pris le dessus sur la solidarité. Tout juste l’opposé du message de l’Évangile
d’aujourd’hui. Lorsque Jésus demande aux
Apôtres de nourrir la foule ceux-ci se mettent immédiatement à « compter » :
il faudra dépenser l’équivalent de tant de jours de travail. Jésus leur indique
que cette approche calculatrice est erronée. La vraie réponse à la situation c’est le partage. Lorsque chacun partage
ce qu’il a, même si c’est peu, il y a en a toujours
assez pour tous, et même il en reste.
Dans
l’appréciation des difficultés par lesquelles peut passer l’institution
ecclésiale et les communautés monastiques et religieuses, ou les paroisses,
nous sommes souvent porter à prendre la même attitude que notre société
technocratique (et les Apôtres dans l’Évangile d’aujourd’hui) et penser tout de
suite en termes de nombre. La question qu’on nous pose constamment à
l’extérieur lorsqu’on dit qu’on appartient à une communauté monastique est : « combien de moines êtes-vous
encore ?... » Ne tombons pas dans ce piège des calculs. Ce qui compte n’est pas que nous soyons 15,
25, 50 ou 100 ; mais quelle est la qualité de notre relation au Christ et
quelle est la qualité de nos relations communautaires.
C’est
l’objet de la réflexion communautaire que nous avons entreprise...
Armand VEILLEUX
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